En 1995, alors que la faim touchait déjà 700 millions d’humains, Edgard Pisani, l’ex-ministre de l’Agriculture de Charles de Gaulle, alors président du Centre international des hautes études agronomiques méditerranéennes, écrivait
dans Le Monde diplomatique : « Produire à suffisance ne signifie pas que chacun ait à suffisance, ni même que la sécurité alimentaire globale soit assurée. Car deux questions demeurent : comment faire, d’une part, pour que chaque région du monde atteigne sa propre autonomie alimentaire ? Comment, d’autre part, satisfaire la demande non solvable ? Car ceux qui ont faim sont ceux qui sont pauvres. Sans volonté politique, les pauvres mourront de faim. » Pour nourrir 10 milliards d’humains, l’ancien résistant plaidait à la fois pour une aide alimentaire durable, qui pallie les défaillances du marché, et pour un développement local et rationnel de l’agriculture dans les pays pauvres. Un développement qui n’utiliserait pas les recettes de la « révolution verte » ayant permis « une explosion des rendements en zone tempérée » : engrais et pesticides de synthèse, génétique, mécanisation. L’ingénieur et économiste Bruno Parmentier livre une analyse semblable. L’ex-directeur de l’École supérieure d’agriculture d’Angers
écrit en 2020 que « la faim n’a plus aucun caractère de fatalité, elle est devenue à 100 % une construction humaine, puisque nous dispo- sons des moyens techniques pour la résoudre ». Celle-ci se concentre désormais dans «la péninsule indo- pakistanaise, où elle reste stable, et l’Afrique subtropicale, où elle ne cesse d’augmenter ». Lui aussi plaide pour sortir du « tout chimie-tout pétrole » et vante les réserves de l’Afrique, où plusieurs centaines de millions d’hectares de terres arables ne sont pas exploitées, notamment en République démocratique du Congo (RDC), faute de capitaux ou à cause de conflits. « On peut parfaitement tripler la production agricole de l’Afrique subtropicale, par des méthodes agro-écologiques, si on trouve enfin les conditions socio- politiques favorables pour le faire », résume l’auteur de Nourrir l’humanité (La Découverte, 2009) et Faim zéro (La Découverte, 2014). Il pose comme condition de réussite la création de 4 à 6 regroupements régionaux, formant autant de « politiques agricoles communes » sur le continent africain.