Si la mise en place du confinement et l’arrêt de nombreuses entreprises ont entraîné leur lot de débats sur le caractère « indispensable à la continuité de la vie de la Nation » de différentes activités économiques, le rôle des pharmacies n’a jamais été remis en cause. Hors de question, bien sûr, d’arrêter la distribution de médicaments, activité d’autant plus cruciale en période d’épidémie. En revanche, l’épidémie et ses conséquences viennent bouleverser leur fonctionnement habituel, y compris dans une zone comme les Hautes-Alpes, jusqu’à présent peu touchée par le virus. Par la fréquentation d’abord : « à partir du 12 mars et de l’annonce de la fermeture des écoles et universités, notre fréquentation a doublé. Durant une semaine, c’était un peu la folie, d’autant que nous étions en sous-effectif. Ensuite, avec le confinement, c’est revenu à la normale », explique Alicia, qui a dû faire des heures supplémentaires à ce moment-là.
La crainte de la pénurie
« La plupart du temps, c'était pour des masques et des gels, mais on a été dévalisés. En quatre jours, il n'y avait plus rien » se remémore-t-elle. Ces produits ont peu de chance de réapparaître en boutique à court terme selon elle, car les commandes n’arrivent pas, sans doute réquisitionnées pour les besoins des hôpitaux. Si la pénurie de masques et de gels est une réalité, les clients redoutaient aussi un manque de médicaments. Certains malades chroniques demandent ainsi deux mois de traitement d’un coup. « On a refusé, raconte Alicia, car il est interdit de délivrer plus d’un mois, sauf si le conditionnement des boîtes et les ordonnances le permettent. »
Le paracétamol, vendu sans ordonnance, fait également l’objet d’une demande importante. La pharmacie dans laquelle travaille Alicia avait pris soin de faire deux mois de stocks supplémentaires pour ce produit, mais « c’est plus tendu dans d’autres pharmacies qui avaient moins anticipé » signale-t-elle. Globalement, une pénurie de médicaments n’est pas à l’ordre du jour selon elle, mais des retards sont possibles « pour des produits moins courants qui mettront plus de temps à arriver ». Pour l’instant, elle n’a eu qu’un seul cas de ce type, avec un médicament pour une maladie auto-immune dont la livraison a pris plus d’une semaine au lieu des 48 heures habituelles. « Un petit coup de chaud » pour elle et la patiente, « mais c’est le seul jusqu’à présent ».
Des premiers jours difficiles
Pour accueillir leurs client dans les meilleures conditions tout en préservant leur santé, Alicia et ses collègues revoient l’organisation de leur boutique dès mi-mars : « Comme on a deux portes, on a fait une entrée et une sortie, avec un sens de circulation et des distances à respecter indiquées avec du scotch au sol. » Mais ce système devient compliqué avec l’affluence, d’où une tentative de mise en place d’un service par guichet, en faisant attendre la clientèle sur la place sur laquelle donne la pharmacie. Finalement, cela demande de multiplier les allers-retours dans le magasin, et les clients sont de nouveau servis à l’intérieur. « On a commandé des plexiglas il y a une dizaine de jours pour mettre sur les comptoirs, mais ils n'arrivent pas. Pour l'instant, on a fait du fait-maison pour limiter les postillons. » En revanche, Alicia et ses collègues travaillent désormais toutes avec des masques et se sont habituées à se laver les mains très fréquemment.
Au début du stade 3, alors que tout le pays prend conscience de l’ampleur de l’épidémie, l’ambiance est « pesante » dans la pharmacie. « On était stressées, on avait peur, les gens étaient tendus et nous en demandaient beaucoup, parfois ils étaient un peu agressifs. » En cause : l’incompréhension de certains de ne pas pouvoir se procurer de masques, réservés aux professionnels de santé. « Mais depuis une semaine, c'est redevenu normal, les gens sont plus calmes et bienveillants, patients, compréhensifs. Ils ont compris qu’on est tous dans le même bateau », indique Alicia, à qui les applaudissements quotidiens à 20h font « chaud au cœur ».
De nouvelles missions à assurer
Si les clients en « demandent beaucoup », c’est aussi le cas de l’Etat qui utilise le vaste réseau de plus de 21.000 pharmacies pour distribuer des masques, FFP2 ou « chirurgicaux » aux soignants. Une tâche à la fois logistique, consistant à fournir aux infirmiers ou aux médecins le bon nombre de masques pour une semaine, et administratif, en récupérant les informations des soignants pour les transmettre à la caisse d’assurance maladie, faute de quoi les dotations de masques de l’Etat cesseraient. « C'est un travail logistique qu'on ne voit pas mais qui prend un temps et une énergie non négligeable, et qu’on fait gratuitement. Notre rôle n'est pas très reconnu », regrette-t-elle.
À cette nouvelle mission s’en ajoute une autre : la prise en charge des violence conjugales et familiales, attisées par les effets psychologiques du confinement. Les pharmacies sont en effet, avec les bureaux de tabac et les commerces alimentaires, les seuls lieux ouverts à tous sans rendez-vous. « On a encore eu personne, je touche du bois. On est pas du tout préparé à faire ça. Il faut qu'on sécurise ces personnes, qu'on les mette à l'écart, qu'on joigne le commissariat à leur place... Je ne m'y sens pas trop prête. Je ne sais pas comment prendre en charge psychologiquement quelqu'un qui subit des violences. On fait tout ça complètement bénévolement. » Si elle reconnaît « moins prendre le virus en pleine tête que les soignants » et s’adapte sans broncher aux conséquences particulières du moment, Alicia tient tout de même à souligner le « rôle clé » que remplissent les pharmaciens et préparateurs dans tout le pays : « On ne parle jamais de nous. »
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