À 17 et 19 ans, Brooklyn O’Hearn et Claire Galvin, deux jeunes australiennes, pourraient faire trembler le géant minier Adani. Ce groupe indien, spécialisé dans l’extraction et la transformation de charbon, souhaite en effet construire une gigantesque mine dans l’État du Queensland en Australie. Un projet pharaonique, qui constituerait selon ses promoteurs la plus grande mine du monde et permettrait d’extraire chaque année dix millions de tonnes de charbon pendant soixante ans.
Très vite, le projet a suscité la colère des associations environnementales et a généré une forte opposition à son encontre. Pourtant, en 2014, le gouvernement du Queensland avait approuvé le projet, très vite suivi par le gouvernement fédéral, un an plus tard. Le jeudi 22 octobre 2020, les deux adolescentes australiennes, soutenues par l’ONG Environmental Justice Australia, ont donc décidé de déposer un recours pour faire révoquer l’approbation de ce projet par la ministre de l’Environnement australien. Pour appuyer leur démarche, elles s’appuient sur un rapport rédigé à cette occasion par le climatologue Bill Hare. Le scientifique estime que ce projet de mine générerait à lui seul 60 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an. Ces émissions pourraient alors mettre en danger un des joyaux de l’Australie : la Grande barrière de corail, labellisée Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981. Dans son rapport, Bill Hare estime en effet qu’un réchauffement de 1,5°C entraînerait la disparition de 70% à 90% du récif corallien, et que ce dernier disparaîtrait presque intégralement si la température augmentait de 2°C.
Un gouvernement qui fait la sourde oreille
Des recours similaires se multiplient ces dernières années en Australie. Grâce à une loi de 1999, l’Environmental Protection and Biodiversity Conservation Act (« Loi pour la protection de l’environnement et la conservation de la biodiversité »), les citoyens australiens peuvent en effet demander au gouvernement de revenir sur une décision si de nouveaux éléments viennent la remettre en cause. En 2015, l’ex-ministre de l’environnement Greg Hunt, déclarait « qu’il n’était pas possible de tirer des conclusions solides sur la contribution éventuelle de ce projet au réchauffement climatique » et que ce même réchauffement n’avait pas forcément d’impact sur la Grande barrière de corail. Armée du rapport de Bill Hare, l’avocate des deux adolescentes, Ariane Wilkinson, s’appuie sur deux principes légaux. Tout d’abord, elle met en avant la solidarité intergénérationnelle, arguant que les deux adolescentes doivent elles aussi pouvoir vivre dans un monde où la Grande barrière de corail n’est pas un lointain souvenir. Elle met également en avant le principe de précaution, qui stipule que les autorités doivent veiller à ne pas approuver un projet qui pourrait mettre en danger, de façon irréversible, l’environnement. Mais la bataille juridique s’annonce compliquée face à un gouvernement qui semble décidé à faire la sourde oreille. " Le gouvernement refuse d’admettre les conséquences directes de ce projet sur les émissions de dioxyde de carbone" , se désespère Ariane Wilkinson. Il utilise ce que certains docteurs en droit appellent “la défense du trafiquant de drogue”, en laissant entendre que ce projet ne fait que répondre à une demande en charbon, et que si ce n’est pas Adani qui vend ce charbon, d’autres entreprises s’en chargeront. Un argument qui ne tient pas : que d’autres entreprises se substituent ou pas à la mine de Carmichael pour répondre à la demande de charbon, il n’en demeure pas moins que ce projet créera des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires, affirme l’ONG Environmental Justice Australia, qui se fonde sur les travaux de l’économiste Paul Burke sur le sujet.
L’Australie, championne du charbon
Ce projet démontre une nouvelle fois les difficultés de l’Australie à changer son modèle énergétique. Près de 98 % de sa production d’énergie est dépendante des énergies fossiles dont 70 % du seul charbon. Ce dernier est pourtant la plus polluante des énergies, comme l’explique Jean-Pascal van Ypersele, climatologue à l'Université Catholique de Louvain et ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) : « Quand on produit un kilo-watt-heure électrique grâce au charbon, c’est un kilo de CO2 qui est émis. Alors que pour le gaz, c’est 400 grammes ». Le chercheur qui a assisté à de multiples reprises aux Conférence des parties (COP), indique que l’Australie a particulièrement défendu les intérêts du lobby du charbon, notamment depuis que le parti libéral est au pouvoir. « Pourtant, explique-il, l’Australie est un pays très peu densément peuplé, et les surfaces énormes utilisées pour les mines de charbon pourraient être utilisées pour la production d’électricité solaire ». L’Australie n’utilise d’ailleurs qu’une petite partie du charbon qu’elle produit pour son propre compte : à peine 15 %. Le reste est destiné à l’exportation, notamment en direction de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud et l’Inde. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, en 2019, elle était le deuxième plus gros exportateur mondial de charbon.
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