Avis de tempête : Lénine contre Latour
Découvrez notre recension de « Avis de tempête. Nature et culture dans un monde qui se réchauffe » d'Andreas Malm aux éditions La Fabrique.
Découvrez notre recension de « Avis de tempête. Nature et culture dans un monde qui se réchauffe » d'Andreas Malm aux éditions La Fabrique.
L’essai désormais iconique Comment saboter un pipeline (La Fabrique, 2020) a propulsé Andreas Malm comme le tacticien en chef du mouvement climat. Mais il ne faudrait pas croire que le maître de conférences en géographie humaine à l’université de Lund (Suède) est l’homme d’un livre : à 46 ans, il a déjà une œuvre. Que son éditeur français, La Fabrique, nous a déjà fait connaître en traduisant dès 2017 L’Anthropocène contre l’histoire, où il faisait du « capital fossile » le principal moteur de l’Anthropocène. Cet édifice est complété par la traduction d’Avis de tempête. L’essai date de 2017 et, comme un bon vin, le temps fait sa saveur : six ans plus tard, il frappe par sa pertinence. Cet Avis de tempête s’apparente à une double démonstration de force, à la fois polémique – Andreas Malm s’y révèle en bretteur hors pair – et théorique.
Car l’enjeu d’édifier une « théorie rouge-verte unifiée » réclame une démonstration clinique. Dans le champ de la pensée écologique, Andreas Malm vise trois courants qu’il nomme constructionnisme (lequel nie l’altérité physique de la nature), hybridisme (prétextant l’intrication du social et du naturel, ce qui dissout leur dualisme irréductible) et néomatérialisme (attribuant des puissances d’agir à tout, il induit une « opération de blanchiment » de la responsabilité humaine). Le penseur a trois ennemis, mais une cible : le philosophe Bruno Latour (1947-2022). La charge est solidement étayée, mais désormais un peu injuste, puisque le Suédois se focalise sur le théoricien de l’acteur-réseau d’alors, fustigeant une cécité face au capitalisme que Bruno Latour rectifiera à la fin de sa vie, à partir d’Où atterrir ? (La Découverte, 2017).
La démonstration n’a toutefois rien d’obsolète, conservant toute sa cohérence dans la controverse actuelle entre la galaxie éco-marxiste et celle de la pensée du vivant, d’autant qu’elle nous gratifie du plaisir coupable de ses phrases assassines, telles que : « L’hybridisme est au cartésianisme ce que la cigarette électronique est à la cigarette. » Ou encore un « moins de Latour, plus de Lénine : voilà ce qu’exige l’état de réchauffement ». Après ses adversaires, Andreas Malm se situe face aux pensées concurrentes au sein de l’éco-marxisme, dont il discute les différents courants, comme celui de la rupture métabolique porté par le sociologue américain John Bellamy Foster.
Avis de tempête, que l’abstraction théorique et les enjeux épistémologiques rendent difficile d’accès, confirme l’importance d’Andreas Malm dans la pensée éco-marxiste. Faisant du matérialisme historique un fondement méthodologique de sa « théorie adaptée à l’état de réchauffement », le Suédois jette ici les bases d’un concept de progrès adapté à notre temps. Face à l’apocalypse promise par le capitalisme fossile, il s’agit de savoir « vivre de l’autonomie du soleil, du vent et des marées ».
Avis de tempête. Nature et culture dans un monde qui se réchauffe Andreas Malm (traduit de l’anglais par Nathan Legrand) → La Fabrique 6 octobre 2023 – 240 p. – 18 €
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