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Avoir une fondation comme actionnaire : un modèle innovant et vertueux

Protéger le capital des entreprises tout en déployant une nouvelle source de financement des activités d'intérêt général, c'est possible : Ikea (Suède), Carlsberg (Danemark), Tata (Inde), Bosch ou Bertelsmann (Allemagne), Rolex (Suisse) ou les Laboratoires Pierre Fabre (France) sont autant d'exemples d'entreprises d'envergure internationale qui y sont parvenues. Leur secret : elles appartiennent toutes à des fondations.

Elles sont plus de 500 en Allemagne, 1 000 en Norvège, 1 300 au Danemark (1), ces entreprises – grandes ou plus petites – dont les fondateurs ont fait le choix singulier de transmettre tout ou partie du capital et des droits de vote à une fondation. Pourquoi ? Pour une raison patrimoniale d’abord, car la fondation actionnaire protège le capital de l’entreprise qu’elle détient : elle inscrit par définition l’entreprise dans le long terme et la protège des OPA hostiles. Pour un motif philanthropique ensuite, car ce modèle assure à la fondation des revenus réguliers : la valeur créée par l’entreprise concourt directement à une action d’intérêt général. 

Les entreprises détenues par des fondations représentent 54 % de la capitalisation boursière de Copenhague  

Selon les pays, la double responsabilité philanthropique et de gestion directe de l’entreprise (2) par la fondation est plus ou moins assumée. Quand cette double mission est pleinement autorisée, les fondations actionnaires sont florissantes. Au Danemark par exemple, les entreprises détenues par des fondations représentent 54 % de la capitalisation boursière de Copenhague et leurs dons 0,5 % du PIB (contre la moitié pour toute la philanthropie en France). Et la performance des entreprises ainsi contrôlées par des fondations est aussi bonne, voire supérieure, à celles des entreprises classiques (3).

Malgré son caractère doublement vertueux, ce modèle fait encore figure d’ovni en France, où les Laboratoires Pierre Fabre, et dans une moindre mesure l’Institut Mérieux, constituent des exceptions. Comme le souligne Xavier Delsol, associé du cabinet Delsol Avocats et partenaire régulier de Prophil, le Conseil d’État a longtemps considéré qu’une fondation reconnue d’utilité publique ne pouvait pas détenir des participations dans une entreprise, du moins de manière autre qu’à titre de simple placement financier accessoire. Il a fallu attendre la loi du 5 août 2005, pour débloquer ce frein, mais cette avancée n’a été que peu utilisée à ce jour (4).

Fort de l’intérêt manifesté par de nombreux acteurs (réseaux d’entreprises familiales, entreprises, banques privées, fondations, universités…), Prophil a décidé, en collaboration avec le cabinet Delsol, d’examiner plus en détail le fonctionnement des fondations actionnaires dans les autres pays et d’étudier dans quelle mesure il serait transposable en France. À l’heure où la philanthropie devient plus entrepreneuriale et le capitalisme se veut plus responsable, où 700 000 entreprises familiales devraient être transmises dans les quinze prochaines années en France (5) et où l’État-providence s’essouffle, le modèle des fondations actionnaires est indéniablement à développer.  


Virginie Seghers est Présidente et fondatrice de Prophil, cabinet de conseil en stratégie philanthropique et investissement social. Consultante auprès de grandes entreprises et de fondations européennes, maître de conférences à Sciences Po et à HEC sur les thèmes de la responsabilité sociale des entreprises et de l’entrepreneuriat social, co-fondatrice du Mouves et administratrice du fonds Ashoka, Virginie Seghers est investie depuis plus de vingt ans dans le champ de la philanthropie et de l’innovation sociale.


(1) Selon les très rares études existantes, et notamment celle en cours à la Copenhagen Business School (programme 2011-2014) menée par Steen Thomsen.

(2) « Both public and private benefit purpose ».

(3) Étude danoise (1999-2004) de M. Thomsen et étude en Suède et en Allemagne (2002) de M. Hermann et M. Franke.

(4) Laboratoires Pierre Fabre et la Fondation Christophe et Rodolphe Mérieux (plus ancienne, et qui ne détient qu’un tiers de l’Institut Mérieux). Une telle opération est aussi en cours avec la Société Sofiprotéol, dépendante de la filière professionnelle des huiles et protéines.

(5) Statistiques INSEE.

Crédits photo : Laboratoire Pierre Fabre 

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