La situation des travailleurs et utilisateurs des grandes plateformes collaboratives de type Uber, Deliveroo, Airbnb, Blablacar etc. rappelle le mot que l’Abbé Sieyès eu pour le Tiers Etat en 1789 : “Que sont les utilisateurs des plateformes pour les plateformes ? — TOUT. Qu'ont-ils été jusqu'à présent dans l'ordre des plateformes ? — RIEN. Que demandent-t-ils ? — A ÊTRE QUELQUE CHOSE”.
Les utilisateurs des plateformes collaboratives, parmis lesquels les travailleurs des plateformes, sont TOUT pour celles-ci car ce sont eux qui fournissent le service final : ce sont les chauffeurs qui conduisent, les covoitureurs qui covoiturent, les livreurs qui livrent. La valeur de l’infrastructure technique des plateformes est marginale en comparaison de la valeur de la communauté des utilisateurs. Sans leurs utilisateurs, ces plateformes ne rendent aucun service et n’ont tout simplement aucune valeur.
Les utilisateurs et les travailleurs des plateformes ne sont pourtant RIEN dans l’ordre des plateformes : ils ne sont pas intégrés dans leur gouvernance ; ils ne sont pas liés à elles par un contrat de travail qui les mettrait sous la protection du droit du travail ; ils ne récupèrent rien de la valeur qu’ils produisent et qui est distribuée en bourse aux actionnaires des plateformes.
Pourtant, les utilisateurs des plateformes veulent ÊTRE QUELQUE CHOSE. Cela se voit partout : les travailleurs veulent une meilleure protection et le disent à travers des initiatives comme le Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP) ou des actions en justice pour une requalification de leur contrat commercial en contrat de travail ; ils veulent faire du covoiturage sans commission sur une plateforme libre comme Mobicoop ; et plus largement ils veulent contribuer aux plateformes qui se vivent comme des biens communs : Wikipedia, Open Street Maps, Open Food Network, Framasoft etc…
Or, les utilisateurs et les travailleurs de plateforme PEUVENT être quelque chose dans l’ordre économique des plateformes si l’on transforme cet ordre. Autrement dit, si on commence à “désubériser” la société.
Justice, démocratie et protection
Il faut d’abord introduire une forme de justice économique entre les plateformes et leurs utilisateurs. La richesse créée sur les plateformes est, pour l’essentiel, produite par les utilisateurs finaux : ce sont les chauffeurs, les conducteurs, les livreurs qui rendent le service. Il serait normal que les bénéfices réalisés par les plateformes leurs reviennent au moins en partie. Cela peut se faire en associant systématiquement les utilisateurs au capital (que ce soit des sociétés de capitaux ou des coopératives) des plateformes de façon à se voir distribuer des dividendes quand les plateformes font des bénéfices.
Il faut ensuite que les utilisateurs et les travailleurs des plateformes puissent être associés aux grandes décisions des plateformes auxquelles ils sont liés, de façon à avoir leur mot à dire sur les évolutions de celles-ci, qu’elles soient technique ou économique. Cela peut se faire si la plateforme adopte des statuts coopératifs qui permettent aux utilisateurs et aux travailleurs de devenir membres coopérateurs. Cela leur donne un droit de vote égal lors de l’assemblée générale, quelque soit le nombre de parts souscrites, et donc d’élire le conseil d’administration qui nommera la direction générale, de valider les comptes annuels, de se prononcer sur les grandes orientations de la structure et de valider des décisions lourdes (achat ou vente d’actifs, modification des statuts, etc.).
Il est également urgent de donner un statut et une protection aux travailleurs des plateformes. La situation des conducteurs d’Uber ou des livreurs de Deliveroo est la parfaite illustration des risques qui pèsent sur les travailleurs de plateformes. Leur relation avec la plateforme est un contrat de droit privé et non un contrat de travail : ils ne sont pas salariés mais prestataires. Dès lors, ils ne bénéficient pas des protections liées au droit du travail ; ils ne bénéficient que de façon très incomplète de la protection sociale ; ils ne bénéficient pas instances de représentation collective.
Les solutions ne manquent pas
Ici, le statut d’entrepreneur salarié associé (ESA) réunis dans des coopératives d’emploi et d’activité (CAE) est une vraie solution. Mobicoop réfléchit activement au déploiement d’une CAE dédiée aux métiers de la mobilité. Celle-ci permettrait par exemple aux travailleurs des plateformes de mobilité (Uber, Deliveroo etc.) de garder le statut d’indépendant auquel ils sont attachés tout en bénéficiant de mécanismes de protection sociale et de représentation collective.
Des solutions concrètes existent donc pour sortir de l’ordre des plateformes qui abîme notre modèle social - sans parler de notre environnement ! Ici l’Etat et les collectivités locales ont un rôle important à jouer. L’Etat, par sa capacité d’investissement, notamment via la Caisse des dépôts et consignations (CDC), peut donner une dimension nationale et internationale à ces plateformes coopératives.
Les collectivités territoriales, en entrant dans leur gouvernance, peuvent les lier durablement aux territoires. Le problème n’est donc pas tant technique ou juridique que celui de la volonté des acteurs politiques et économiques à s’asseoir à une table commune pour construire les mécanismes collaboratifs d’un XXIème siècle... non ubérisé !
*Mobicoop est une coopérative de mobilité collaborative. Elle offre des services de covoiturage et, bientôt, d’autopartage et de mobilité solidaire. Mobicoop réunit 350 000 utilisateurs, 29 000 soutiens qui assurent sa présence sur tous les territoires, 700 coopérateurs et 15 salariés.
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