Exposition «La vie en dessin» au Centre Pompidou

Catherine Meurisse : « regarder le vivant avec des yeux exorbités »

La vie en dessin, Catherine Meurisse, 2020

Légères et pleines de vie, les planches de Catherine Meurisse sont exposées jusqu’au 25 janvier au Centre Pompidou à Paris dans le cadre de l’exposition « La vie en dessin ». Le rapport ambigu de l’artiste au « vivant » est au cœur de cette rétrospective.

Dans le silence ouaté de la bibliothèque du Centre Pompidou (BPI), le public est invité à parcourir une à une les étapes de la vie de Catherine Meurisse : sa découverte du dessin, ses premiers prix, ses débuts en tant que caricaturiste chez Charlie Hebdo, puis les albums post-attentat. 

D’abord, ses premières esquisses. Des animaux, des fleurs : les dessins d’une enfant à la campagne. « Écouter les grillons, les coqs qui se répondent, la machine à traire des voisins fermiers, sentir les balles de foin, le lait caillé, les prunes trop mûres, tout cela m'a éduquée », explique-t-elle. En s’avançant dans l’exposition, le spectateur est amené à découvrir ses inspirations : Sempé ou Quentin Blake, des dessinateurs dont le vivant est l’unique sujet, la première source d’émerveillement. Les dessins très simples, presque enfantins. Des illustrations du Petit Nicolas ou des romans de Roald Dahl se retrouvent dans toute l’œuvre de Catherine Meurisse. Dans le sillage de ces auteurs, son « dessin appartient à la famille des ‘‘dessins jetés’’, dont la nervosité est apparente, dont l'expressivité est décisive » ajoute-t-elle. Ce sont aussi les contrastes de style dans le dessin, avec lesquels elle joue beaucoup, qui font la singularité de son œuvre : « L'environnement est dessiné de manière réaliste, alors que mes personnages sont croqués avec humour », précise-t-elle.

Le dynamisme de son dessin réside dans la proximité, l’intimité même, entre sa main et la feuille de papier. Elle explique : « Le dessin se fige sur la page, mais la main qui dessine est vivante. Le crayon ou le pinceau sont des outils assez minces pour que la contagion du vivant, de la main au dessin, ne soit pas entravée. Le dessin est vivant par capillarité ».

Conjurer la mort

« La vie en dessin », titre trouvé avec justesse pour l’exposition qui court jusqu’au 25 janvier 2021, avant peut-être une prolongation des suites de la situation sanitaire, résonne avec la vie de l’autrice comme avec son œuvre. Après avoir échappé aux attentats qui ont touché la rédaction de Charlie Hebdo en janvier 2015, elle croque dans La Légèreté (2016) son désir de renouer avec la beauté du vivant. Cette quête passe par un retour au calme de la campagne après une vie de frénésie urbaine. Son dessin s’en ressent, avec ses grands paysages qui ne sont pas sans rappeler la peinture romantique. Les musées romains sont, eux, dessinés de manière très réaliste : « Dans La Légèreté apparaissent quelques scènes où j'étreins un arbre, à défaut de serrer mes copains de Charlie assassinés, où je récolte des fragments de ma mémoire comme on cueillerait des rosés des prés. »


La Légereté, Catherine Meurisse, Dargaud, 2016

Comment retrouver accès à cette « légèreté » qui ne lui est accordée que par le dessin ? C’est une des questions qui traverse l’exposition. « Dans La Légèreté, BD post-attentat de janvier 2015, j'ai recours à l'art et à la beauté pour ne pas m'effondrer » explique-t-elle. Elle dessine ce besoin de se mettre en retrait du monde des hommes. La première planche de l’album, celle de la couverture, est exposée, en grand format, sous vitre. Dans le flou d’un paysage que l’on devine côtier, se détache la silhouette de son personnage. Les couleurs y sont simples, mouchetées, comme étalées sur du papier buvard. C’est avec ce premier dessin qu’elle a engagé la rédaction de cette BD. Elle ajoute : « C’est un livre qui, pour conjurer la mort, regarde le vivant avec des yeux exorbités. »

Vivre en diplomate

Après avoir échappé à cet attentat, l’autrice retourne à la campagne. Dans cette France rurale que beaucoup idéalisent, elle reconstruit son rapport à l’art et à la création au contact direct du vivant : « Contempler la nature et s'émerveiller devant ses prodiges toujours renouvelés, c'est un pas vers la conscience d'appartenir au monde vivant, c'est se rappeler que nous, humains, ne valons pas mieux qu'une abeille ou qu'un hêtre. Que nous pouvons vivre ensemble, vivre mieux, en diplomate, pour reprendre ce mot cher à Baptiste Morizot, sans que l'un écrase l'autre. » Cette position de modestie, qui contraste avec les actes démiurgiques de l’homme moderne, se ressent dans cette exposition où ses dessins sont proposés au spectateur par une mise en scène à la fois sobre et délicate. Imperceptiblement, grâce à cette déambulation en colimaçon, le public plonge dans le dessin et l’univers de Catherine Meurisse.

Le dernier espace de l’exposition a été conçu de manière plus lumineuse, aérée. Des dessins, accrochés par un fil au plafond, semblent flotter dans l’air, virevoltent au grès des déplacements des spectateurs. Ces planches, sur lesquelles elle travaille encore, sont influencées par un récent voyage au Japon. Elles se parent de teintes plus douces, presque pastel, bien loin de la fougue des couleurs et des effets de matière utilisés pour son album sur Delacroix (publié en 2019). On y devine déjà les prémices d’un nouvel album. Dans la lignée des Grands espaces (2018) où elle faisait part de sa « perplexité face au désir des campagnes de ressembler aux villes », les paysages de ces « grands espaces » s’installent dans son œuvre. En s’ouvrant à d’autres matières et d’autres techniques, l’académicienne (elle est membre de l’Académie des Beaux-Arts depuis janvier 2020) se rapproche encore de la « légèreté » qu’elle met en valeur depuis plusieurs albums.

L’exposition s’achève sur ces notes plus apaisées. Comme si Catherine Meurisse avait trempé son fusain dans cette quiétude retrouvée. Elle conclut sur ces mots : « Mon dessin est spontané, et cette spontanéité se travaille, ce qui est un paradoxe. Je veille à ce que mes personnages soient animés, que mon récit soit rythmé. En un mot, que mon travail soit vivant ».

Exposition « Catherine Meurisse. La vie en dessin», au Centre Pompidou (Paris), du 30 septembre 2020 au 25 janvier 2021. Plus d'infos ici.

Article issu de la série «Quand les artistes explorent le vivant», réalisée par et avec les étudiants du Master Humanités et Industries Créatives (parcours Journalisme culturel) de l'Université Paris Nanterre


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