Expérimentations décroissantes #4

Commown, TeleCooop... : des coopératives pour un numérique décroissant

Cabine téléphonique TéléCoop à Strasbourg
Cabine téléphonique TéléCoop à Strasbourg

La durée de vie d’un smartphone n’excède pas trois ans, et seuls 5 % d’entre eux sont recyclés. Face à ce constat, la coopérative Commown propose des téléphones éco-conçus en location et tente de maximiser leur durée de vie, tout en invitant ses clients à questionner leurs besoins.

C’est un retour qui en a surpris plus d’un. En juin dernier, devant les locaux du tiers-lieu Le Shadok, à Strasbourg, une cabine téléphonique, vestige d’un autre temps, est venue se ménager une place sur le trottoir. Les curieux ont alors pu pénétrer dans la surprenante boîte violette et passer gratuitement des appels.

Article à retrouver dans notre hors-série « Décroissance : Réinventer l'abondance », disponible en kiosque, librairie et sur notre boutique.

« On a voulu faire irruption dans l’espace public pour questionner les technologies qui nous entourent, et tout le monde s’est interrogé sur l’utilité de cette cabine alors que personne ne s’interroge sur celle de l’IA, explique Adrien Montagut de Commown, à l’origine de l’opération en partenariat avec TeleCoop, opérateur télécom coopératif. On voulait aussi poser la question de la mutualisation des équipements, de ce vers quoi il faudrait tendre à l’avenir, de la sortie de nos usages individuels. »

Au-delà du happening, ce docteur en chimie de 38 ans, passé par le réseau des villes en transition et les Amis de la Terre, pose sérieusement la question des cabines téléphoniques : « Pourquoi ne pas les relancer ? On pourrait en placer devant les écoles pour repousser le moment où les enfants doivent avoir un smartphone. »

« En ai-je besoin ? »

Questionner nos usages numériques et militer pour le retour des cabines téléphoniques semble paradoxal pour qui gagne sa vie en louant des smartphones. Mais tel n’est pas le cas d’Adrien et des membres de la coopérative Commown, qui compte aujourd’hui une trentaine de salariés seulement six ans après sa création. « En ai-je besoin ? » est ainsi la première question posée à celui ou celle qui visite leur site web, en quête d’un téléphone plus « responsable ».

Commown propose des locations de Fairphone, éco-conçus et pensés pour être réparés, assure les réparations et entend par là prolonger au maximum la durée de vie des terminaux en circulation. « On se considère comme technocritiques dans la mesure où on critique la soutenabilité du modèle technologique actuel, estime Adrien. Il s’agit de lutter contre la surproduction d’appareils électroniques, qui est responsable de toutes les externalités environnementales négatives que l’on connaît. Je crois que les clients qui viennent chez nous participent à une décroissance de l’extraction des ressources, et je pense qu’on peut aller vers un autre modèle basé sur la mutualisation de terminaux réparables, qui permettent de continuer à accéder aux communs numériques, à des connaissances, des choses qui valent la peine d’être conservées. »


Les clients de Commown peuvent donc souscrire un abonnement mensuel, pour un téléphone, un ordinateur ou un casque Bluetooth, paramétrables selon leurs besoins, en termes d’accessoires (câbles, chargeur ou kit mains libres) et de services (autoréparation ou intervention de la coopérative). Le prix est dégressif au fil des années et pondéré d’une « remise soin » pour les commowners les plus vigilants, qui ont évité la casse, la perte ou le vol de leur appareil.

Cette offre, destinée à l’origine aux particuliers, s’est étendue aux professionnels et aux collectivités, et 6 000 contrats ont aujourd’hui été souscrits. « L’économie de la fonctionnalité et de la coopération existe depuis longtemps, on n’a rien inventé, concède Adrien. France Télécom louait déjà ses terminaux à l’époque des téléphones à cadrans. Et ils concevaient des appareils robustes, simples et facilement réparables. »

Une forme de militantisme

À la croisée des low-tech, ou du moins de technologies plus sobres, de la réparation et du soin, dont l’importance a été rappelée par les sociologues Jérôme Denis et David Pontille dans leur livre Le Soin des choses1 (La Découverte, 2022). L’approche de Commown se veut, selon Adrien Montagut, une forme de militantisme. Celle-ci est complétée par un travail de plaidoyer contre l’obsolescence programmée, pour la limitation de la mise en vente de produits neufs et une interdiction de la publicité sur les objets technologiques.


« On aimerait par exemple que les entreprises soient limitées à un nouveau modèle tous les quatre ans », avance le fondateur de Commown. En attendant, c’est à sa propre croissance que la coopérative doit répondre. « Notre modèle fonctionne, le nombre d’appareils que nous louons augmente, poursuit-il ainsi. On peut imaginer arriver à un palier, une taille optimale, et s’arrêter là. » Le plus important pour les membres de Commown réside sans nul doute dans le fait de mettre en marche un autre récit technologique, réaliste, enthousiasmant, fondé sur le soin, le partage et la sobriété.

S’attacher aux objets qui nous entourent

Depuis 2015, l’association L’Atelier Soudé, installée dans le 7e arrondissement de Lyon, promeut la réparation des objets électroniques de notre quotidien. Toutes les semaines, dans son petit atelier où s’accumulent les pièces détachées en tout genre, elle accueille celles et ceux qui souhaitent réparer leurs téléphones, ordinateurs, grille-pains ou bouilloires, mais également, depuis quelques temps, leurs vêtements.

Née de la volonté de lutter contre l’obsolescence programmée et réduire la production de déchets, l’association promeut aussi et surtout un autre rapport aux objets qui nous entourent, une forme de réappropriation, d’attachement et de soin. « Il faut apprendre à aimer les objets qui font notre quotidien, affirme ainsi Dorian, un des membres de l’Atelier. Ici, on plante une graine par l’expérience. Après leurs premières réparations, les gens y réfléchissent à deux fois avant de jeter quelque chose et s’interrogent sur l’utilité de ce qu’ils achètent. » L’Atelier Soudé compte aujourd’hui 4 000 adhérents et cinq salariés.

Un concept : la réparation

Si la réparation2 atteste d’une longue histoire, elle a été balayée par la société de consommation, incitant au remplacement d’un objet usagé, ou défectueux, par un autre. Célébrée, voire mythifiée par des auteurs comme Matthew B. Crawford et son Éloge du carburateur (La Découverte, 2010), la réparation connaît un renouveau par la critique de l’obsolescence programmée. On observe ainsi la revendication d’un « droit à la réparation » qui exige l’accès aux informations et à la documentation indispensables à la réparation d’un appareil.

La tendance se vérifie aux États-Unis notamment, par le truchement de consommateurs réunis au sein du collectif iFixit et d’associations telles que The Repair Association. La France est le premier pays à avoir mis en place un « indice de réparabilité » sur le modèle du Nutri-score. Outre son intérêt écologique, la réparation vise aussi à reprendre le contrôle sur les objets techniques qui nous entourent.

1. Les auteurs invitent à voir l’être humain non seulement comme un Homo faber, mais aussi comme un Homo teneo, soucieux de la pérennité de ses créations

2. Lire notre numéro «  Reprendre les choses en main » Socialter nº61, décembre 2023.

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