Portrait

COVID-19 : la menace de trop en Amazonie ? Portrait d'Almir Narayamoga

Almir Narayamoga devant l'Assemblée nationale.
Almir Narayamoga devant l'Assemblée nationale. © Léa Dang

Almir Narayamoga est le chef de la tribu Paiter Suruí, un peuple autochtone qui réside dans la région du Rondônia, en pleine forêt amazonienne au nord-ouest du Brésil. Cette tribu, longtemps menacée par la déforestation, doit désormais affronter maintes pressions : en plus d'être sous la houlette d'un gouvernement ouvertement hostile à l'égard des peuples autochtones, elle retient son souffle face à la pandémie mondiale. Almir Narayamoga, qui avait entamé un périple mondial dans l'espoir de mobiliser la communauté internationale, s'était arrêté en France. Socialter l'a rencontré lors de son passage à Paris.

C’est au café Bourdon, en face de l’Assemblée nationale, que nous attendons Almir Narayamoga, une des figures emblématiques de la lutte pour les droits des peuples autochtones en Amazonie. Accompagné de trois interprètes, le leader des Paiter Suruí, habillé de sa coiffe traditionnelle, s’installe, le sourire aux lèvres, sur le siège en velour rouge qui lui est réservé. 

Après une matinée passée aux côtés des parlementaires et représentants de l’État français, il reprend son souffle avant de se lancer : « J’ai été élu leader de mon peuple à l’âge de 17 ans. Aujourd’hui, notre territoire s’étend sur 250 000 hectares de forêts, et notre population, répartie sur plusieurs villages, avoisine les 1 500 personnes. » D’abord chef de son clan, les Gameb, il devient dix ans plus tard le représentant de l’ensemble des clans Paiter Suruí. 

Paiter, qui signifie « Nous, l’Homme authentique », est le nom originel de la tribu, tandis que Suruí est le nom donné par les premiers anthropologues blancs entrés en contact avec la tribu il y a 40 ans. « Culturellement, nous portons un tatouage sur le visage qui part des tempes et s’étend jusqu’aux joues. Les autres peuples autochtones, qui nous ont mis en contact avec les Blancs, nous appelaient les Huiri, les “ennemis” avec des tatouages sur le visage. Et donc, les Blancs ont cru comprendre qu’on nous appelait les Suruí. » C’est Almir Narayamoga lui-même qui, lorsqu’il devint le représentant de la communauté Suruí, rétablit le nom de Paiter. 


Un rapport au monde mis à mal 

Depuis, le chef des Paiter Suruí se bat pour préserver la culture et les savoirs de son peuple. Dans son livre, Sauver la planète, le message d’un chef indien d’Amazonie (ed. Broché, 2015), Almir y décrit son enfance, et le rapport qu’il entretient avec les éléments naturels. Enfant, il apprend, grâce à son père, Marimop, et le wáwá, le guérisseur du village, à lire et déchiffrer les messages de la forêt. On lui enseigne que tout est vecteur d’informations : le chant des oiseaux, le comportements des animaux, leur présence, leur nombre ; le bruit de l’eau des rivières qui annonce les crues et la quantité de poissons ; les différents tons du ciel qui prédisent le temps et les étoiles qui les orientent la nuit… Ce sont ces connaissances et ce rapport particulier au monde qu’il est venu défendre lors de son passage en Europe, dans l’espoir de mobiliser la communauté internationale. 

Changements climatiques, déforestation, exploitation minière, d’or, de diamants… Toutes ces menaces quotidiennes laissent des traces et détériorent la communication des peuples avec leurs milieux : les messages qu’ils perçoivent, grâce à l’équilibre fragile des écosystèmes, risquent d’être de moins en moins fiables, et le monde qu’ils habitent de plus en plus imprévisible.

C’est pourquoi les autochtones voient d’un très mauvais oeil l’arrivée de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil en janvier 2019 : « La plus grande menace que je vois pour mon peuple, c’est celle que représente le gouvernement Bolsonaro, qui détruit le système politique qui a reconnu les droits des peuples autochtones », confie Almir. Déjà, le décret 303, approuvé le 21 mars 2012 par la commission Constitution et justice de la Chambre des députés, avait considérablement fragilisé les droits des peuples autochtones au Brésil. Signé en juillet 2012, il autorisait entre autres l’exploitation des matières premières, la libre circulation des personnes et la construction de barrages, en plus de renforcer les droits des propriétaires non-autochtones en leur donnant la possibilité d'étendre leurs propriétés privées – tout cela sans une mention concernant les populations autochtones. Aujourd’hui, non seulement ce décret est toujours inscrit dans le droit brésilien, mais les institutions chargées de la défense des peuples autochtones – le ministère public, la police fédérale, la Funai (Fondation nationale de l'Indien) et le ministère des affaires indigènes – ont perdu toute autorité depuis l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir. « Le gouvernement autorise les exploitations minières illégales dans la forêt amazonienne et sur des territoires protégés », explique Almir ; ce qui permet aux braconniers et aux miniers d’agir en toute impunité, sous le regard impuissant de la population civile et des autochtones.


Almir Narayamoga, à la conférence « Amérindiens, leur combat pour la planète » à Sciences Po Paris, le 29 janvier 2020. © Léa Dang

L’hostilité du président envers les peuples autochtones est publique, Bolsonaro ne s’en cache pas. En juin 2019, il a tenté de faire passer un décret au Ministère de l’agriculture pour délimiter les terres des autochtones, et multiplié les propos dégradants à l’encontre de ceux-ci. La situation est telle que l’association Survival international parle de « génocide législatif » pour qualifier le sort des populations indigènes au Brésil. 

Plusieurs organismes s’en sont inquiété. Sous l’appellation de la Coalition Solidarité Brésil, Emmaüs International, Attac France et 15 autres associations ont publié un baromètre d’alerte sur la situation des droits humains dans le pays. « En 2018, 135 autochtones ont été assassinés, [c’est-à-dire] un toutes les 48 heures, contre 56 en 2016, soit une augmentation de 141 %. » Cette impunité est renforcée par le discours du gouvernement qui, selon le rapport « rejette les différences et renoue avec les politiques d’assimilation ». 


Almir Narayamoga lors de la conférence  « Amérindiens, leur combat pour la planète » à Sciences Po Paris, le 29 janvier 2020. © Iddri 

Quelques jours plus tôt, lors de son passage à Sciences Po avec Davi Kopenawa, chef et chaman emblématique de la tribu des Yanomami, Almir témoignait : « Davi et moi-même, sommes en danger de mort. Nous sommes menacés dans nos régions car nous défendons nos droits et les droits de nos peuples. » Et nous pouvons le prendre au mot : en 2006 Almir a commencé à recevoir des menaces de mort. D’abord, sous la forme d’appels téléphoniques, puis, il l’apprendra par la suite, par la mise à prix de sa tête à hauteur de cent mille réals (environ vingt mille dollars) pour celui ou celle qui réussirait à le faire disparaître. Depuis, il est constamment accompagné, lors de ses déplacements au Brésil et à l’étranger, par un garde du corps qui veille sur lui.

« Ce qui m’inquiète particulièrement, et qui affecte mon peuple directement, ce sont les encouragements et les discours de haine à l’encontre des peuples autochtones et à l’encontre de l’environnement d’une manière générale. »


Un leader porteur de nombreux projets 

Pourtant, ces menaces directes ne le découragent pas. Le représentant des peuples Paiter Suruí met en place, depuis de nombreuses années, des projets pour rendre son peuple plus résilient et autonome face au gouvernement brésilien. En 2017, il a créé une coopérative Suruí pour réglementer la production de noix du Brésil, de l'huile de copaïba ou encore des bananes du café. Il a ensuite élaboré le projet “carbone forestier Suruí” qui consiste à avoir accès au marché de crédits carbone en protégeant de la déforestation les terres sur lesquelles ils vivent. Aujourd’hui il se réjouit de la création de la très attendue université Suruí, où les savoirs de la forêts seraient partagés, avec l’obtention d’un diplôme à la clef.


Négociation d’Almir avec un acheteur, en présence de Thomas Pizer, président d’Aquaverde. © Association Aquaverde

Almir Narayamoga reste cependant prudent, car les premiers contacts des Paiter avec les Blancs ont eu de très lourdes conséquences : il y a 40 ans, plusieurs épidémies ont décimé la population, qui est passée de 3 000 à 300 membres. Aujourd’hui, la tribu atteint de nouveau la barre des mille. Elle souffre désormais de nouveaux maux : grippe, tuberculose, rhumatismes… ou encore, depuis l’introduction du sel et du sucre dans l'alimentation, de diabètes et d’hypertension. 

Aujourd'hui, la situation ne semble guère meilleure : la pandémie en cours commence à toucher les peuples reculés d'Amazonie. Peu informés, isolés et loin des hôpitaux, ils sont d'une plus grande vulnérabilité. Le risque que fait peser le COVID-19 sur ces populations est d'autant plus lourd que la région amazonienne est l'une des moins bien équipées pour faire face à la pandémie, comme l'explique le docteur Pablo Montoya, spécialiste en santé publique pour Le Monde. Almir Narayamoga rappelait déjà, lors de notre rencontre en février, la grande fragilité immunitaire des peuples non-contactés (terme technique désignant les peuples qui n’ont jamais été en contact avec les populations des villes) de la forêt amazonienne : démunis d'anticorps contre les maladies des peuples industrialisés, ils ne peuvent pas être de taille face à la grippe ou la rougeole, et encore moins face au coronavirus. Alors que le président du Brésil – qui vient de nommer à la tête de la Funai un ancien missionnaire évangélique – réfute encore la gravité de la pandémie, les mots d'Almir Narayamoga résonnent plus encore : « Le meilleur moyen de protéger ces peuples, c'est de prendre ses distances. » Pour que nos mondes valétudinaires n'engloutissent le leur, la solution la plus sûre reste donc, selon le chef des Paiter, de respecter leur choix de vivre en déhors de nos sociétés.

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