Canopy compte parmi ses partenaires, 750 entreprises consommatrices de produits issus des forêts, tels que la rayonne et la viscose, utilisés dans la fabrication de vêtements. Nicole travaille également en étroite collaboration avec Ashoka et la fondation C&A sur l'initiative Fabric of Change pour construire une industrie textile plus équitable et durable grâce aux innovations portées par des entrepreneurs sociaux. Découvrez dans cet entretien comment Nicole veut faire basculer l'industrie vers des chaînes de productions plus durables.
Ashoka : Quelles sont les difficultés et les opportunités que vous observez actuellement dans le travail de Canopy ?
Nicole Rycroft : Quand j'ai créé Canopy, j'ai créé une organisation pour la conservation des écosystèmes. Notre mission et notre mandat sont de protéger les forêts anciennes en danger, et ainsi de tenter de répondre aux défis du changement climatique et de l’extinction des espèces. Au fil des 16 dernières années, notre travail a évolué. Je vois maintenant Canopy comme une organisation capable d'influencer la politique environnementale et de promouvoir au niveau international les décisions écologiques dont la planète a impérieusement besoin.
Notre modèle est basé sur un adage commercial simple : le client est roi, et de ce fait, a toujours raison. Et de manière générale, plus il dépense, plus il a raison, du point de vue de ses fournisseurs. En impliquant les grandes entreprises clientes de l'industrie forestière, nous avons pu mettre en place les conditions économiques et politiques nécessaires pour essayer de transformer les chaînes logistiques non durables et pour encourager des solutions globales de nouvelle génération.
Ashoka : Pourriez-vous nous parler du cas remarquable où vous avez réussi à faire produire les livres de la série Harry Potter de manière écologique et durable ?
Nicole Rycroft : Quand nous avons approché les éditeurs de livres pour la première fois, il n'existait pas de papier produit de manière écologique et durable sur lequel ils puissent imprimer ; c'était un scénario qui rappelait l'éternelle dilemme de l'œuf et de la poule. Et quand nous avons approché l'éditeur [canadien] Raincoast Books, leur principal titre était bien sûr Harry Potter.
"Nous savions qu'en raison de la taille du tirage, Harry Potter était un titre qui avait le potentiel de déclencher une économie d'échelle dans la production de papier écologique, papier qui à l'époque n'existait pas."
Toute personne qui adopte une pratique pour la première fois sait que cela peut avoir un coût. Par chance, Raincoast Books, en tant que pionnier du projet, était prêt à absorber ce coût pour apporter sur le marché un papier écologique de qualité. Cette première édition d'Harry Potter et l'Ordre du Phénix, produite en respectant les forêts anciennes, a montré qu'il était possible de produire des livres de haute qualité qui aident à sauver les écosystèmes de nos forêts. Cela a permis à d'autres éditeurs d'utiliser ce papier, donnant lieu à une meilleure économie d'échelle dans la production de papier écologique, et par conséquent, à un prix plus abordable.
Du point de vue de la chaîne logistique, cela a révolutionné le monde de l'édition à l'échelle de la planète. Quarante papiers écologiques différents ont été développés spécifiquement pour le contrat d'Harry Potter au fil des années. La plupart sont encore régulièrement utilisés par les éditeurs du monde entier aujourd'hui.
Ashoka : Et puis Canopy s'est tourné vers l'industrie vestimentaire...
Nicole Rycroft : Il y a quatre ans et demi, nous avons découvert que 120 millions d'arbres disparaissaient chaque année dans la fabrication de vêtements. Et aussi choquant que cela nous a paru à l'époque, il fut encore plus effrayant de voir ce chiffre doubler dans la décennie suivante.
A ce moment-là, nous avons réalisé qu'il y avait pour nous une opportunité incroyable d'empêcher ces pratiques de s'enraciner, et le problème environnemental de s'aggraver. Avant que des milliards de dollars ne soient investis dans de nouvelles infrastructure pour soutenir ces mauvaises pratiques, nous avions l'opportunité de réorienter la chaîne de production vers des pratiques écologiques et durables.
Nous avons donc passé les quatre dernières années à travailler en partenariat avec des marques – nous avons 69 marques qui ont officiellement développé des engagements en faveur des forêts en danger. Celles-ci comprennent de grandes marques telles que H&M et Zara, ou des marques légendaires comme Levi's, ainsi que des designers progressistes qui sont très influents, comme Stella McCartney et EILEEN FISHER.
Ashoka : On dirait que votre philosophie, c'est que tout le monde peut avoir un impact positif, à n'importe quel niveau. Comment est-ce que cela affecte votre stratégie avec les entreprises et les partenaires ? Comment est-ce que vous utilisez ce principe en pratique ?
Nicole Rycroft : Changer les comportements est une chose difficile. Notre modèle est basé sur l'idée que pour nous, une organisation avec des moyens modestes, changer le comportement de 7 milliards d'individus dans le monde relève de l'impossible. Mais ce que nous pouvions faire, c'est changer les comportements des 500 à 1000 cadres qui travaillent dans des entreprises avec un grand pouvoir d'achat.
Donc nous aidons ces individus à reconnaître qu'ils ont la possibilité de contribuer à un changement en matière de conservation dont l'impact sera bien plus important que leurs opérations commerciales individuelles. Nous avons aidé ces cadres à reconnaître qu'ils ont un réel pouvoir, et sont parmi les mieux placés pour défendre la conservation dans le monde aujourd'hui – simplement parce qu'ils travaillent pour une maison d'édition ou pour une marque de vêtements.
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Auteur : Ashoka
Nicole Rycroft a intégré en 2003 le réseau Ashoka, plus grand réseau mondial d’entrepreneurs sociaux. L’initiative Fabric of Change, en partenariat avec la fondation C&A, a pour but d’identifier les solutions d’entrepreneurs sociaux pour une industrie de la mode plus durable, de les mettre en lumière et d’encourager les collaborations pour transformer les pratiques des acteurs de cette industrie.
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