Avec le développement technologique croissant, la vie d’une majorité de personnes est devenue, jusqu'à la fin du XXe siècle, plus confortable et plus facile. Jusqu'à 1970 environ, le bilan de CO2 était relativement équilibré et la consommation des ressources était encore gérable. La vie était-elle difficile en 1970 ? Aujourd'hui, nous avons de grandes difficultés à maîtriser notre consommation de ressources et à réduire l'augmentation des gaz à effet de serre. Cette évolution était déjà perceptible en 1970 et, déjà à cette époque, suffisamment d'experts pointaient les faits et formulaient des propositions pour stabiliser la biosphère.
Le cours du développement a ensuite pris une autre direction, les cycles technologiques sont devenus de plus en plus courts et la concurrence internationale ainsi que les efforts néolibéraux pour une déréglementation débridée ont non seulement conduit à une course à l'armement technologique au-delà de toute durabilité, mais aussi à une gigantesque consommation d'énergie.
Actuellement, de larges pans de la société réfléchissent à une meilleure gestion, à la manière dont nous pourrions réduire la concentration des gaz à effet de serre et laisser à nos descendants un environnement habitable. La technologie est ici de nouveau mise en avant et est largement considérée comme la solution : le défi majeur serait l’amélioration de la technologie pour assainir l'environnement tout en garantissant le maintien de nos niveaux de vie. Certes, personne ne veut retourner à l'âge de pierre, mais le principe de conservation de l'énergie s’applique depuis le développement de la vie, et croire qu’une meilleure technologie pourrait nous permettre de mener une vie encore plus luxueuse et confortable, tout en résolvant les problèmes climatiques, frise la quadrature du cercle et le développement d'un perpetuum mobile, deux choses manifestement impossibles. Cela n’est physiquement pas faisable.
En raison de différentes mauvaises décisions techniques et d'une mauvaise conception de notre environnement, nous avons rendu la vie inutilement compliquée. C'est pourquoi il est maintenant temps d’examiner dans quelle mesure une réduction de la complexité pourrait nous aider à garder la même qualité de vie en se contentant de moins de ressources.
Des transports à repenser
Dans le passé, les villes ont tout fait pour donner libre cours au transport individuel, au prix de la relégation des transports publics au sous-sol, le métro étant pourtant le moyen de transport le plus complexe et le plus coûteux de tous. Les trams aériens, par exemple, ne consomment que 10 % de l'énergie nécessaire au métro et autres transports souterrains. Ils ne nécessitent ni escaliers roulants, ni ventilation, ni ascenseurs, ni système de sécurité élaboré, sont faciles d’accès pour les jeunes et les moins jeunes et, s’ils circulent sur voie propre de manière conséquente, ils sont également rapides. Après tout, on permet à la circulation individuelle d'emprunter de larges rues à travers la ville, alors pourquoi ne pas prévoir une voie étroite séparée pour le tramway ? Et même là où la construction de rails ne serait pas techniquement réalisable, le trolleybus classique serait toujours une alternative moins chère et plus agréable que le métro, aussi intelligent soit-il.
La technologie de traction moderne permet même aujourd'hui la circulation de tramways sans caténaire continue ainsi que l’utilisation de l'infrastructure ferroviaire préexistante d'autres trains, comme cela a par exemple été démontré de façon convaincante à Karlsruhe. En laissant les transports publics à la surface, on s’épargne l'entretien et le renouvellement des installations telles que les ascenseurs et les escaliers mécaniques, qui tombent de toute façon bien assez souvent en panne et compliquent l'utilisation des transports publics.
Si l’Allemagne a vu naître de belles initiatives dans le transport en commun, comme à Karlsruhe, son système ferroviaire national est en décrépitude totale. Aujourd'hui, les allemands constatent avec étonnement que les autocars constituent une alternative attrayante au rail sur de nombreux itinéraires longue distance, qu'ils peuvent être considérablement moins chers et aussi plus confortables, qu'ils ne consomment qu'une fraction de l'énergie par passager-kilomètre et qu'ils ne nécessitent en outre généralement pas un temps de trajet plus long. Pas besoin de changer de train et d'attendre des correspondances en retard, juste d’embarquer avec ses bagages et arriver à destination. Difficile d’imaginer à quoi ressemblerait la comparaison si en plus le bus fonctionnait à l'électricité ou à l'hydrogène ! Pourtant, le chemin de fer était et est toujours considéré comme le nec plus ultra de la mobilité. Comment en est-on arrivé là ? Une exploitation ferroviaire techniquement exigeante avec des trains à grande vitesse sur des voies obsolètes, une mauvaise ingénierie, un tracé ruineux de lignes à grande vitesse simultané à un sous-financement général et une démoralisation totale du personnel ont conduit à ce que la Deutsche Bahn ne fonctionne plus correctement.
Toujours plus grand, toujours plus vite...
Faire se traîner des trains à grande vitesse sur de vieilles lignes et user les nouvelles lignes avec des trains trop lourds et inadaptés n'est pas un concept prometteur, comme on peut le constater en comparant la situation allemande avec des compagnies ferroviaires d’autres pays. Les trains à locomotives d’autrefois sont flexibles, les wagons défectueux sont facilement remplacés et, grâce à la technologie éprouvée des voitures directes, ils sont imbattables dans le trafic longue distance. De plus, ces types de trains atteignent aujourd'hui des vitesses de plus de 200 km/h ! Il est pour le moins étonnant que les compagnies ferroviaires de certains pays puissent faire circuler des trains de nuit de bonne qualité de manière rentable, mais que la Deutsche Bahn AG préfère cesser l'exploitation et mettre ces wagons à la ferraille. Et après tout, est-ce vraiment si attrayant d'être propulsé à grande vitesse à travers des tunnels, de ne plus voir aucun paysage et d'arriver ensuite à destination avec plusieurs heures de retard à cause d'un boîtier de signalisation endommagé ou d'autres perturbations opérationnelles, tout cela avec une consommation d'énergie gigantesque ? Pas très durable, tout ça…
J’aimerais également aborder pour exemple la façon dont nous menons notre vie quotidienne. Aujourd'hui, les denrées alimentaires sont principalement fournies par les supermarchés et les centres commerciaux et, dans un avenir proche, peut-être aussi par des services de livraison automatisés et par drones. De grands centres logistiques surgis du néant approvisionnent les filiales de grandes chaînes, la bière et les produits laitiers sont transportés par camion de l'extrême nord au sud de la république et vice versa, les produits régionaux sont diffusés par l'intermédiaire de la grande distribution et, de plus, ces paradis des consommateurs ne sont généralement accessibles qu'en voiture. Bien sûr, les produits doivent également être suremballés pour le transport, aucun effort n’est fait pour rendre les systèmes réutilisables pratiques et nous payons donc plusieurs fois pour ce genre de luxe et de gaspillage, entre autres au prix d’avoir des résidus de plastique réapparaissant dans les aliments, d’une terre de plus en plus polluée et bien sûr aussi de produits plus chers qu’à la traditionnelle épicerie du coin. On peut ici objecter à juste titre que le commerce de proximité doit également être approvisionné, mais cela aussi pourrait se faire via les tramways urbains et les véhicules électriques, et à une fraction des coûts actuellement engagés. Les centres commerciaux gigantesques, comparés aux commerces de proximité, loin d’être capables de réduire la production de CO2, sont une erreur de conception urbaine ! Ce système économique mondialisé et complexe a aussi montré ses limites pendant la crise sanitaire que nous vivons : les pénuries de masques et de respirateurs auraient pu être évitées si leur production était restée locale et facilement accessible.
Prudence face aux solutions technologiques
Aujourd'hui, beaucoup de gens croient que l'IA et l'Internet vont nous sauver de la crise environnementale et oublient que le numérique nécessite déjà d'énormes quantités d'énergie électrique, avec une augmentation constante. Là aussi, il faudrait examiner au cas par cas dans quelle mesure une approche est judicieuse d’un point de vue climatique et peut contribuer à empêcher le gaspillage énergétique et la libération de gaz à effet de serre.
Pour toutes les nouvelles solutions et évolutions technologiques, le but ultime devrait être d'offrir des avantages par rapport aux solutions précédentes d’un point de vue holistique. La recherche sur les risques de mortalité routière a par exemple établi qu'un plus grand nombre d'accidents mortels est d’ores et déjà imputable à la distraction et au mauvais fonctionnement des systèmes d'assistance et composants électroniques dans les voitures qu'à l'alcool. La complexité empêche souvent la résilience et la stabilité techniques. Et d'ailleurs, même les systèmes intelligents n'entretiennent pas de manière autonome les escaliers et ascenseurs défectueux, ne réparent pas les conduites d'eau, les pylônes électriques, les trains, etc... Et à quoi me sert une application qui me dit que la correspondance de train que j’ai réservée n'aura pas lieu et que je ne pourrai pas arriver à destination comme prévu ?
Si tout le monde vivait comme les Français, il faudrait déjà plus de trois planètes Terre ; ce seul fait devrait rendre évidente l'urgence d’un changement de mentalité et donner aux politiciens la tâche d'y mettre un terme.
Cela exige une étude holistique minutieuse de nos activités techniques et de consommation, afin que la terre reste habitable. Nous avons besoin d’une réglementation économique mondiale qui rende cela possible et qui soit entièrement basée sur les avancées scientifiques, une économie écologique mondialisée, pour ainsi dire. L’idée que des solutions techniques pourraient corriger les bouleversements sociaux et le consumérisme malavisé est tout à fait chimérique et inadaptée : comme le disait Einstein, « on ne peut pas résoudre des problèmes avec le même mode de pensée que celui qui les a générés ». Seuls les politiciens y croient : seuls eux croient avoir le pouvoir de passer outre les lois de la nature. Mais le monde qui nous entoure est régi par des lois et des mécanismes physiques et ceux-ci entraîneront des tempêtes, des inondations, des famines et même des pandémies, comme nous avons l’occasion de nous rendre compte aujourd’hui. Changer de paradigme devient de plus en plus urgent : décomplexifions le monde pour le rendre plus vivable !
Bernhard Wolf est biophysicien, spécialiste des nanotechnologies médicales. Traduction : Alice Leparc.
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