L’être humain est une espèce unique dans l’histoire de l’évolution. Voilà qui est à la fois limpide et mystérieux. Car si le constat est indiscutable, ses raisons constituent une énigme : la trajectoire qui a mené à Homo sapiens est-elle le résultat d’une nécessité ou d’un hasard ? Comment expliquer les exceptionnelles capacités cognitives qui nous démarquent du reste du vivant ? Ces interrogations fondamentales occupent deux ouvrages de biologie de l’évolution parus à La Découverte : La Symphonie inachevée de Darwin, livre signé par Kevin Laland, professeur à l’université écossaise de St Andrews ; et Destinées improbables, œuvre de Jonathan B. Losos, professeur à l’université Washington de Saint-Louis.
Dépassant le seul cas humain, ce dernier mène l’enquête sur un débat profond touchant à la logique de l’évolution. Il oppose, d’un côté, les tenants de la thèse exposée par Stephen Jay Gould (1941-2002) dans La vie est belle (Le Seuil, 1991 [1989]), affirmant que la trajectoire du vivant n’est que « le fruit du hasard, le résultat d’une grande loterie », et de l’autre, les partisans du déterminisme, ligne portée par Simon Conway Morris dans Life’s Solution (Cambridge University Press, 2003), qui fait de la convergence évolutive « le motif dominant du monde vivant » : la vie tend à développer les mêmes traits pour répondre aux mêmes contraintes. Avec une narration pédagogique et imagée, Jonathan B. Losos multiplie les exemples – notamment tirés des reptiles, dont il est spécialiste – et les récits d’expériences pour évaluer les différentes hypothèses. Passant des lézards aux marsupiaux, des mangeurs de vers au « cas unique » qu’est l’ornithorynque, il aboutit finalement à une position nuancée. Certes, l’évolution « n’est pas un processus aléatoire ou incohérent », mais plus l’échelle de temps et le nombre d’espèces considérées s’élargissent, « moins nos pronostics ont de chances d’être corrects ».
Et les humains, là-dedans ? « Nous sommes très loin d’être inévitables », tranche le biologiste. Tout en étant uniques : le « fossé cognitif » qui nous sépare du reste des vivants obsède Kevin Laland. Même Darwin a buté sur sa justification, offrant un argument aux créationnistes : notre intelligence ne s’expliquerait que par une intervention divine. Dans une passionnante enquête nourrie par la théorie des jeux évolutionnaires, Kevin Laland expose le cheminement de sa recherche qui, partant de la faculté de copier répandue chez les animaux, montre d’abord que la sélection naturelle retient des façons d’apprendre plus efficaces. Chez certains primates, ce trait atteint un niveau de performance générant une « impulsion culturelle », soit une boucle de « rétroaction évolutive » auto-entretenue entre croissance des capacités cognitives et amélioration de l’apprentissage.
Au centre de cette dynamique se trouve la notion d’enseignement qui, chez l’humain, aurait stimulé l’apparition du langage et ainsi engendré un niveau de complexité faisant de la culture non plus un produit de notre évolution, mais l’un de ses moteurs – l’auteur parle de « coévolution gènes-culture ». Ce n’est donc plus une seule sélection naturelle qui joue, mais une « sélection culturelle » permettant un niveau de coopération et de complexité « sans équivalent » dans tout le monde vivant.
La Symphonie inachevée de Darwin. Comment la culture a façonné l’esprit humain, Kevin Laland, La Découverte, 25 août 2022, 450 pages, 28 €.
Destinées improbables. Le hasard, la nécessité et l’avenir de l’évolution, Jonathan B. Losos, La Découverte, 23 septembre 2021, 376 pages, 24 €.
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