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Destination finale : après la Chine, où finiront nos déchets ?

Où finissent les déchets que nous jetons à la poubelle ? La question se pose plus que jamais depuis que la Chine, premier importateur mondial de déchets, a annoncé début 2018 qu'elle n'accepterait presque plus aucun déchet plastique ou papier venant de l'étranger. Une décision qui crée la panique en Occident, où il va falloir trouver de nouvelles portes de sortie pour nos poubelles.

Cet article a été initialement publié dans le hors-série n°4 de Socialter consacré au Zéro Déchet, paru en mai 2018. Retrouvez-le actuellement en kiosque.


Des débris d’ordinateurs et de téléphones portables jonchent le sol d’une décharge à ciel ouvert, en périphérie d’une grande ville africaine. Voilà l’image que notre imaginaire collectif retient des lieux où finissent nos déchets en attendant leur improbable désintégration. Mais peu imaginent que pour en arriver là, les déchets ont souvent réalisé un long périple à travers notre économie mondialisée.

Notre époque n’est pas à un paradoxe près : il n’y a jamais eu autant de déchets dans le monde, et pourtant, dans nos pays industrialisés, on n’en a jamais vu aussi peu. Selon l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l’énergie), la France a produit à elle seule 324,5 millions de tonnes de déchets en 2015. Mais savons-nous réellement ce qu’ils sont devenus ? La réponse est multiple, les modes de traitement sont différents. Les entreprises gèrent eux-mêmes leurs déchets, alors que pour les ménages, c’est la tâche des collectivités.

Contrairement aux déchets des entreprises, souvent réticentes à partager ces informations, il est aisé de découvrir où sont envoyés nos déchets personnels, ceux que l’on appelle les
« déchets ménagers et assimilés ». S’ils ne représentent pas la part la plus importante du volume global, ce sont certainement ceux dont la trajectoire raconte le plus notre rapport social aux déchets. Toujours selon l’ADEME, la destination de nos déchets ménagers se répartit ainsi : 26 % sont stockés, 32 % sont incinérés (dont 31 % pour produire de l’énergie),
39 % sont recyclés.


 

Comment les déchets sont devenus un enjeu économique

 


À ce titre, l’Hexagone est en retard par rapport à d’autres nations européennes, comme par exemple la Belgique, qui recycle 53,4 % de ses déchets ménagers. Mais à quoi correspond ce qui est appelé ici « recyclage » ? En réalité, les collectivités françaises se contentent de collecter, car elles sous-traitent le reste de la chaîne à d’autres pays : le recyclage, aujourd’hui, consiste pour les pays occidentaux à envoyer en Asie ou en Afrique des déchets au traitement jugé trop peu rentable chez nous.

En les triant (avec l’aide des citoyens), les collectivités transforment les déchets en « matières premières secondaires », réutilisables dans un cycle de production par des entreprises situées sur le sol chinois ou turc… « 
Le tri est aux déchets ce que la distribution est aux objets de consommation : la condition de la circulation des échanges », précise ainsi Yann-Philippe Tastevin, chargé de recherche au CNRS et co-commissaire associé de l’exposition « Vies d’ordures », présentée au Mucem en 2017.


 

La révolution des années 60



Ce marché dans lequel nos déchets sont valorisés, achetés, recyclés et revendus sous une autre forme ne date pas d’hier. L’économie mondialisée des poubelles débute dans les années 60, avec l’émergence d’un « problème des déchets » parfaitement mis en lumière par Baptiste Monsaingeon dans son livre Homo Detritus (Le Seuil, 2017).

À l’époque, face à l’émergence de l’écologie politique et aux inquiétudes nées des multiples scandales environnementaux, les sociétés industrielles « 
vont tenter de transformer ces fuites détritiques en des ressources pour penser les conditions de leur renouveau », explique Baptiste Monsaingeon. L’ère du déchet abandonné est remplacée par l’ère du déchet recyclé, devenu matière valorisable. 

« 
Ceci étant, le développement de la collecte et du recyclage dans les pays avancés a provoqué un déséquilibre entre l’offre et les capacités d’absorption d’une industrie locale souvent en perte de vitesse. La seule solution a été de trouver de nouveaux débouchés à l’exportation, ce qui correspondait d’ailleurs à la demande des pays émergents en pleine industrialisation et ne disposant souvent pas de ressources primaires ni de gisements de déchets à exploiter », précise Philippe Chalmin, historien et économiste.


 

Des flux de déchets de l’Atlantique vers le Pacifique

 


Les pays développés ont ainsi commencé à vendre leurs déchets à des pays en voie de développement dans une logique Nord-Sud, ou plutôt Atlantique-Pacifique, qui semblait satisfaire les deux parties. « Plus vous êtes riches, plus vous produisez des déchets. Surtout, plus vous produisez des déchets de qualité, potentiellement valorisables », poursuit Philippe Chalmin.

D’un côté, les pays occidentaux produisaient des déchets « de qualité » dont ils souhaitaient se débarrasser ; de l’autre, des pays émergents voyaient nos déchets comme autant de mines à exploiter. Le marché mondial du déchet et de sa gestion apparaît donc à ce moment-là, les multinationales s’y engouffrent, et nos collectivités s’engagent à produire et trier des déchets pour alimenter les entreprises qui iront nourrir les flux mondiaux.

Le commerce des déchets se développe rapidement, notamment en raison de la hausse du cours des matières premières ; en conséquence, on se tourne vers ces fameuses matières premières « secondaires ». Avec succès ! Aujourd’hui, la progression du volume de déchets échangés est même supérieure à celle des échanges de la matière vierge correspondante ; en d’autres termes, on échange plus de papier recyclé que de papier « neuf ».

 

Les grandes fortunes du recyclage

 

C’est là que le poids de la Chine se fait sentir, puisque celle-ci récolte près d’un quart des déchets recyclables du monde entier. Principales importatrices de déchets plastiques et papiers, les entreprises chinoises ont grandement profité du commerce de nos poubelles.

Pour ne citer qu’un seul exemple, l’entrepreneuse Zhang Yin est aujourd'hui l’une des plus grandes fortunes chinoises grâce au recyclage de papier. Idem pour le plastique, que la Chine importait en masse avant de le réinjecter dans la fabrication d’emballages plastiques renvoyés ensuite dans les pays occidentaux.

Moins médiatisée : la place de la Turquie, premier importateur mondial de ferraille, matière réinvestie dans sa filière sidérurgique. « 
Les échanges de déchets ne sont que la conséquence de la consommation et de la production : souvent, les matières repartent là où se fait la production », commente Jean-Philippe Carpentier, président de la Federec (Fédération Professionnelle des Entreprises du Recyclage).

Le marché des déchets acte, d’une certaine manière, la désindustrialisation de pays comme la France ou les États-Unis. Aujourd’hui, leur modèle économique est d’importer des produits finis, et d’exporter les déchets qui en sont issus... Avant de racheter les produits finis produits à partir de ces déchets. Un perpétuel retour à l’envoyeur, en quelque sorte.


 

La Chine se retire : panique à bord

 


Mais en 2018, un tremblement de terre est venu secouer ce marché, puisque la Chine a décidé de ne plus importer (ou presque) de déchets de l’étranger. Pressentie depuis quelques années, la décision chinoise de fermer le robinet affecte directement les pays occidentaux, qui vont devoir trouver de nouveaux débouchés pour leurs déchets.

Une solution envisagée serait d’incinérer plus ou de recycler soi-même. « 
Pour des matières comme le plastique, en France, on n’a pas de business model. Les stocks vont augmenter et la solution à court terme, cela va être d’incinérer, détaille Jean-Philippe Carpentier. Mais à long terme, la décision chinoise peut être une formidable opportunité de développer notre filière de recyclage. »

L’autre possibilité est d’aller voir ailleurs. « 
À chaque fois, on s’aperçoit qu’il y a une relocalisation de l’activité dans d’autres pays comme le Vietnam », explique Yann-Philippe Tastevin. « La décision chinoise n’est pas dramatique pour les industriels dans la mesure où l’on sait que d’autres pays, moins regardants sur les normes environnementales, vont se faire un plaisir de supplanter la Chine », confirme Jérémie Cavé, auteur de l’ouvrage La ruée vers l’ordure : conflits dans les mines urbaines de déchets (PUR, 2015).

Des restes que l'on entasse


 

 

De fait, la décision chinoise renforce l’inquiétude de voir se créer de nouveaux « havres de déchets » dans les pays en voie de développement. « La véritable répercussion de cette décision, c’est de révéler que tous nos efforts de tri et de collecte participent à une économie du déchet mondialisée dont l’impact environnemental peut être très sérieusement discuté », poursuit Jérémie Cavé.

En l’état actuel des choses, la maxime de Lavoisier selon laquelle « rien ne se perd, tout se transforme » ne fonctionne pas avec le recyclage. Mis à part l’aluminium
qui peut être réutilisé à 98 % les déchets papiers ou plastiques ne peuvent eux pas être recyclés indéfiniment, et laissent forcément des restes… qui s’entassent dans les pays les moins scrupuleux.

« 
Les systèmes les plus vertueux continuent de buter sur la part irréductible de nos déchets. Ici ou ailleurs, ce reste est brûlé ou stocké dans des décharges toujours plus importantes », déplore Yann-Philippe Tastevin. Même constat chez Fanny Pacreau, anthropologue des déchets : « L’industrie a pris conscience que le déchet pouvait avoir une valeur économique : du tas d’ordures, on est arrivé à une multitude de déchets précis et précieux, mais il y a toujours, dans le lot, une part de déchets que nous n’arrivons pas à valoriser. »


 

Un quart de nos déchets se « volatilise »  

 


Vu comme le marché mondial des déchets se porte bien, difficile d’imaginer une issue différente. D’autant que l’attirail législatif mis en place, à travers la Convention de Bâle de 1989, est peu contraignant. Le texte, qui a le mérite d’exister, ne prévoit pas de sanctions en cas de non respect des engagements et n’a pas été ratifié par certains pays, comme les États-Unis.

Ce qui explique le développement d’un système à deux vitesses, avec d’un côté des pays européens qui mettent en place de nombreuses normes, rendant le coût du traitement des déchets de plus en plus élevé ; et de l’autre, des pays en voie de développement qui acceptent tous types de déchets. Déchets qui finissent dans ces fameuses décharges à ciel ouvert, et deviennent, au mieux, le gagne-pain du secteur informel de la récupération.

Et encore, on ne parle ici que du marché des déchets ménagers, c’est-à-dire 10 % du volume des déchets traités. Qu’en est-il des déchets industriels, ceux issus du BTP par exemple ? Difficile d’avoir une vision précise du sujet. D’après un rapport de l’ADEME sur la question, une partie (les déchets « inertes ») est recyclée comme matériau de construction ou valorisée dans le cadre de réaménagement de carrières.

Le reste est globalement « peu valorisé » et il est difficile d’en savoir plus. « 
Les entreprises sont rétives à partager ces informations-là, mais il est probable que les papiers, cartons ou plastiques se retrouvent dans les flux en direction de la Chine », suggère Jérémie Cavé.

 

Des voitures de contrebande remplies de déchets toxiques



Quid de la partie non recyclable ? Difficile de retracer ces flux-là, mais a priori, elle finit soit enfouie soit… volatilisée. En effet, dans un chapitre de l’ouvrage collectif L’économie mondiale 2013 (La Découverte, 2012) consacré au commerce international des déchets, différents chercheurs estiment que près de 20 % des échanges internationaux de déchets seraient illégaux.

Certaines techniques de contournement sont très simples. On sait par exemple qu’entre 100 000 et 300 000 véhicules sont exportés vers l’Afrique de l’Ouest et le Moyen-Orient à travers le port de Hambourg. Certaine voitures sont alors déclarées comme des « produits réutilisables » destinés au marché de l’occasion africain ; à l’intérieur, des équipements électroniques sont cachés et passent comme de la contrebande.

L’ensemble circule donc comme un bien ordinaire... Le souci, c’est que certains déchets sont parfois toxiques (entre 2 et 3 % de tous les déchets) et s’immiscent dans les processus de recyclage. Il y a quelques années, les États-Unis avaient par exemple dû retirer de la vente des boîtes de mouchoirs en provenance d’Inde, parce qu’elles avaient été faites en papier recyclé contaminé au cobalt 60.

L’idée de circularité paraît d’autant plus saugrenue : il est effectivement possible de réduire les flux et de limiter les impacts environnementaux et sanitaires, mais les déchets ne disparaissent jamais complètement. La plupart du temps, ils s’entassent dans les décharges des pays en voie de développement.

Finalement, c’est le mérite de la décision chinoise :  révéler que les filières de recyclage bâties depuis 30 ans contribuent moins à l’économie circulaire annoncée qu’à un véritable capitalisme mondialisé des déchets recyclables. Et peut-être aussi nous inciter à faire l'économie de quelques poubelles?


 

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