Une alarme à incendie retentit dans un hôtel : tous les clients évacuent, sauf un. Il ne l’a pas entendue, et pour cause : il est sourd. L’incendie est maîtrisé et l’histoire finit bien, mais elle va donner une idée à Quentin Wavelet, alors lycéen à Mont-de-Marsan. Si les personnes atteintes de surdité ne peuvent percevoir les sons qui les entourent, pourquoi ne pas convertir ceux-ci en vibrations ?
L’idée est lancée : durant l’été 2015, il imagine avec l'aide d'un ami, Benjamin Massoteau, une tablette qui vibre chaque fois qu’un objet qui lui est connecté émet un son. Deaf'Tab est en train de naître.
Le dispositif est assez simple : un émetteur est posé contre l’objet dont on veut transmettre le son (une alarme à incendie, un four, la sonnette d’un portail…). L’émetteur est programmé pour reconnaître la fréquence de cette alarme. Quand il la capte, il envoie un signal à la tablette. Celle-ci vibre et affiche le pictogramme correspondant. Les émetteurs et la tablette communiquent grâce à de simples ondes radio. Les signaux sont encodés afin qu’il n’y ait pas d’interférence avec des ondes de même fréquence d’un appareil électronique.
“On peut connecter autant d’émetteurs que l’on veut à la tablette, explique Quentin Wavelet, il suffit de lui indiquer combien de signaux elle doit recevoir”. Un deuxième prototype a été créé : une montre qui vibre mais est, elle, dépourvue d’affichage.
Équiper une maison pour quarante euros
“La tablette est très simple d’utilisation, il n’y a quasiment rien à faire”, explique son créateur. “Elle est programmée pour reconnaître automatiquement les émetteurs, sans que l’utilisateur n’ait de manipulation à faire”. Quand une alerte s’affiche, elle reste à l’écran jusqu’à ce que l’utilisateur le touche.
Les deux lycéens ont fabriqué des émetteurs universels pour reconnaître des sons courants (sonnette, alarme incendie…), mais ils peuvent modifier le système en fonction des demandes particulières. Selon Quentin Wavelet, l’autonomie de l’émetteur est de cinq à six mois, et celle de la tablette de deux semaines à un mois.
Les deux lycéens ont récupéré, modifié et assemblé tous les composants eux-mêmes, notamment les cartes et les circuits en open source. Une cagnotte Leetchi, toujours active, leur a permis d’acheter une imprimante 3D et plusieurs cartes électroniques. “On se rend compte qu’on peut produire la Deaf'Tab pour très peu”, explique Quentin Wavelet. Avec un nouvel associé, Tony Dubong, il veut réduire le prix. “Avec une batterie moins chère, on pourrait avoir une tablette et cinq ou six émetteurs pour environ quarante euros”.
L’aspect peut également être optimisé. “Pour l’instant, la Deaf'Tab a l’épaisseur de trois smartphones, on veut la réduire. Et travailler sur l’esthétisme. On est assez terre-à-terre, alors pour l’instant, ça ressemble juste à une boite”.
La tablette a été conçue en parallèle des cours de terminale en sciences de l’ingénieur, et les deux lycéens vont continuer le projet en parallèle de leurs études en IUT. Pour Quentin Wavelet, cela ne devrait pas poser de problème : “En IUT on peut par exemple faire imprimer ses propres cartes électroniques pour des projets personnels”.
Un marché potentiel énorme
Quentin Wavelet et Benjamin Boisseau (qui a depuis quitté le projet) lors de la finale des Olympiades des sciences de l'ingénieur à Paris.
Ils ont déjà remporté la finale académique de Bordeaux des septièmes Olympiades de science de l’ingénieur, et participé à la finale nationale. Ils sont également sélectionnés pour le concours Lépine de 2018, et ont participé à la Google Science Fair, où ils ont terminé premiers parmi les projets français.
L’objectif maintenant, c’est la commercialisation. Ils ont entamé la procédure de demande de brevet, et espèrent lancer la Deaf'Tab sur le marché en janvier ou septembre 2017. “On a appris à coder, on a appris à souder, mais on n’a pas appris à vendre !” reconnaît Quentin Wavelet.
Dans les Landes, le centre de correction auditive Audio Plus s’intéresse au projet. “Les appareils d’aide auditives ne permettent pas une récupération au-delà de 30 à 50%, explique l’audioprothésiste Catherine Catelin. On est ravis de voir que les nouvelles technologies permettent une nouvelle approche plus accessible.” La tablette pourrait être utilisée aussi bien dans des habitations privées que dans des lieux publics. “Les hôtels pourraient en mettre à disposition de leurs clients malentendants ; cela pourrait également servir dans des écoles de sourds”, détaille Quentin Wavelet. Il envisage même d’étendre l’usage de la tablette à une population plus large que les victimes de perte de l’audition : “Les personnes âgées ont souvent des problèmes d’audition. La simplicité de la tablette leur permettrait de s’en servir très facilement, si on agrandit l’écran”.
Le marché potentiel est énorme : selon l’INPES, 5 182 000 Français souffrent de problèmes auditifs, dont 303 000 ont une déficience auditive profonde ou totale, et plus de onze millions de personnes ont plus de 65 ans. Les systèmes existant sont réservés à une minorité en raison de leur coût.
Campagne Leetchi : http://176.65.73.101/c/projets-de-deaftab
Page Facebook : https://www.facebook.com/Deaf.tab/
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