Qu’elle soit « féministe » et « antiraciste » pour certains éditorialistes du Figaro, « identitaire » à La Revue des deux mondes, « éducative » chez Libération ou encore « sanitaire » dans les colonnes du Point, la novlangue semble avoir aujourd’hui autant de sous-divisions que de locuteurs. Bien utile pour dénigrer un jargon ridicule ou mensonger, elle est du reste souvent interchangeable avec d’autres commodités rhétoriques comme « bien-pensance », « propagande » ou « langue de bois ». Bref, la novlangue, c’est souvent la langue des autres. Et les autres – c’est bien connu – ont la fâcheuse tendance à vouloir régenter sournoisement l’expression de ceux qui ne pensent pas (encore) comme eux. Est-ce là ce qu’avait imaginé George Orwell ?
Née sous la plume de l’écrivain et journaliste britannique qui publie, en 1949, le célèbre roman 1984, la novlangue (newspeak en VO) est décrite comme la clé de voûte de l’Océanie, régime totalitaire en guerre permanente contre ses voisins, l’Estasie et l’Eurasie. « La novlangue avait été conçue pour satisfaire les besoins idéologiques de l’angsoc, ou socialisme anglais », avise le romancier à la fin de sa dystopie, dans un appendice stupéfiant de précision où il énonce les « principes de la novlangue ». Celle-ci a un double objectif : « non seulement de fournir un mode d’expression à la vision du monde et aux habitudes mentales...