Xavier Gisserot et sa compagne ont mis un mois et demi à construire leur maison, pour seulement 12 000 euros. Une jolie petite demeure de 20 mètres carrés, bardée de bois, nichée dans un écrin de verdure, au cœur du hameau du Placis, à Saint-André-des-Eaux, dans les Côtes-d’Armor.
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Les huit familles installées là ont signé un bail emphytéotique de 80 ans avec la mairie, moyennant un loyer annuel de 5 000 euros (50 euros par mois et par foyer). Elles ont également repris en coopérative le dernier commerce du village, le café-restaurant l’Éprouvette. « De plus en plus de mairies se rendent compte de l’intérêt de soutenir ce genre de projet, souligne Xavier. Elles comprennent que les gens vont travailler sur le territoire, avoir du temps pour s’investir dans la vie associative et apporter de la vitalité. »
Le jeune homme, 31 ans, est l’une des chevilles ouvrières de l’association Hameaux Légers, qui promeut un habitat écologique et solidaire, et surtout accessible à tous.
Le coût du logement : un frein à la décroissance
Rien ne semblait, a priori, prédestiner Xavier Gisserot à se lancer dans une telle entreprise. Après une classe préparatoire, il intègre une des plus prestigieuses écoles de commerce, HEC, et se signale pendant son cursus en créant, avec son camarade Sévak Kulinkian, une application de prospection commerciale, Charp, que les deux étudiants revendent à Google.
Mais une fois diplômés, tous deux souhaitent embrasser un autre mode de vie, plus riche de sens. « On ne voulait pas être esclaves de notre boulot et enrichir des actionnaires, c’était une quête de liberté, se souvient Xavier. Mais très vite, nous avons compris que cette quête se heurtait à une barrière systémique, celle du logement. Quand tu as un logement qui coûte cher, en loyer, crédit ou charges, tu as besoin d’un emploi très bien rémunéré et tu ne peux pas t’orienter vers d’autres activités moins lucratives mais essentielles, dans l’agriculture ou l’économie sociale et solidaire. L’habitat, c’est une condition première de la décroissance. »
De fait, le logement représente aujourd’hui 26,7 % de la dépense de consommation finale des ménages, contre 12 % au début des années 1960, selon l’Insee. Un poids qui ne cesse d’augmenter.
Pendant un an, les deux jeunes hommes se lancent dans une tournée des lieux de vie alternatifs, éco-villages et autres communautés anarchistes. S’ils sont séduits par les éco-hameaux, qui promeuvent un habitat durable et solidaire, la question de l’accès à la propriété demeure pour eux une barrière. « On voyait que cela restait réservé à un certain public, qui avait de l’argent, explique Xavier. Il fallait trouver un moyen de répondre à cela, trouver une voie médiane qui permette d’avoir accès à une propriété à bas coût, qui ne soit pas précaire, tout en se constituant un petit patrimoine, dans une logique qui ne soit pas spéculative. »
En 2017, un collectif d’architectes fonde Hameaux Légers1 et ouvre une brèche en se liant avec le maire d’une petite commune ardéchoise qui met à disposition des parcelles pour l’installation d’habitats réversibles. Une voie se dessine pour se libérer du poids du foncier : louer sur le long terme des terrains, diminuer le coût des logements en réduisant leur taille et mutualiser certains espaces – cuisine, buanderie, salle de réception ou chambres supplémentaires. Xavier et Sévak, qui ont fondé leur propre association, L’Espace des Possibles, se rallient à Hameaux Légers en 2019.
Un « anti-lotissement »
Aujourd’hui, 25 projets sont en cours, dans six régions différentes. « On est venus heurter de plein fouet le sujet de l’artificialisation et de la loi zéro artificialisation nette (ZAN), ça a été notre chance », se réjouit Xavier. Car si disposer d’un logement à bas coût, pérenne, permet d’entrevoir un autre horizon, décroissant, il s’impose aussi et surtout comme un contre-modèle à celui du BTP, gourmand en matière et désastreux pour l’environnement.
Dans le hameau du Placis, pas de béton mais des maisons sur pilotis, plots ou pneus, construites en partenariat avec l’école d’architecture de Nantes, qui n’abîment pas les sols et ne laisseront aucune trace lorsqu’elles seront démontées ou déplacées. « C’est une sorte d’anti-lotissement, estime Xavier. Toutes les maisons sont différentes mais il s’en dégage une harmonie. On utilise des matières naturelles, du bois, des végétaux, de la terre, des enduits à la chaux. Ce sont des maisons plus petites, donc il y a plus de place pour le jardin. C’est un contre-pied complet à la façon dont on construit habituellement. Ici, on a des habitats qui ont des empreintes carbone négatives. »
Autoconstruites, objets de chantiers participatifs ou achetées à des artisans, ces maisons permettent aussi de se réapproprier des savoir-faire jusque-là confisqués par l’industrie, dans une approche low-tech. Hameaux Légers dispense ainsi des formations pour gagner en autonomie et fabriquer soi-même son installation électrique solaire, son chauffe-eau, son poêle ou encore son système de phytoépuration. Une façon, donc, de reprendre en main ses conditions d’existence.
Le réemploi contre la voracité du BTP
Le secteur de la construction consomme beaucoup de matière et produit copieusement du déchet, soit 46 millions de tonnes par an en France, contre 30 tonnes pour les déchets ménagers. Les coopératives Bellastock à Paris, Rotor à Bruxelles, ou le cabinet d’architecture Atelier Aïno à Marseille, tentent précisément de promouvoir la réutilisation de ces matériaux. Rotor développe ainsi la « dépose soigneuse en vue du réemploi », ou l’idée d’aller démonter méticuleusement un bâtiment voué à la destruction, avant de revendre ses matériaux.
Une initiative qui séduit des particuliers, engagés dans des travaux de restauration ou d’autoconstruction, des décorateurs ou architectes, en quête de matériaux à détourner, ainsi que des entreprises de construction plus classiques. « L’enjeu, dans le fond, c’est de ralentir la production de matériaux neufs, c’est une critique du productivisme, explique Michaël Ghyoot, cofondateur de Rotor. Mais bien sûr, ce n’est pas une fin en soi. Ce n’est qu’en nouant des alliances avec la low-tech, le soin, la maintenance, et une position plus radicale d’appréciation de l’existant qu’on peut aller plus loin. » La coopérative, lancée en 2016, compte tout de même aujourd’hui plus d’une vingtaine de salariés. Preuve, s’il en est, de sa pertinence.
Un concept : les low-tech
Face à des technologies toujours plus sophistiquées, gourmandes en matière, impossibles à réparer et à l’obsolescence programmée, les low-tech se distinguent par leur sobriété, leur modestie, leur simplicité d’usage et leur réparabilité. Célébrées depuis les années 1960 par des penseurs critiques des « hautes technologies » – dont Ernst Friedrich Schumacher ou Ivan Illich –, elles permettent aussi à chacun et chacune de regagner en autonomie et renouer avec des savoir-faire, tout en questionnant ses besoins.
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