Édito. Ce que nous apprend l'écologie décoloniale
Découvrez l'éditorial de notre numéro 66 « La crise écologique, un héritage colonial ? », par Olivier Cohen de Timary, directeur de la rédaction.
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Il est aujourd’hui largement admis que la catastrophe écologique en cours et ses phénomènes les plus visibles, comme le réchauffement climatique, les pollutions ou l’érosion de la biodiversité, trouvent leur origine dans les activités humaines de l’ère industrielle s’intensifiant depuis la seconde moitié du XXe siècle. Une autre perspective, moins répandue, suggère que les racines de la crise environnementale remontent plus loin dans l’histoire, aux débuts du processus colonial.
Édito de notre n°66, en kiosque, librairie, à la commande ou sur abonnement.
Dès le XVe siècle en effet, les puissances occidentales, mues par une vision aussi théologique, raciste que marchande, ont exploité à leur profit les écosystèmes et les populations jugées « inférieures » des territoires asservis. Cet épisode marque ainsi un tournant majeur de la modernité, où « humains et non-humains furent confondus en “ressources” alimentant un même projet colonial, une même conception de la Terre et du monde » (Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, Seuil, 2019).
Ce sont ces liens étroits entre crise écologique, colonisation et histoire du capitalisme qu’entend mettre au jour l’écologie décoloniale. Mais au-delà de la reconnaissance indispensable de l’« héritage » colonial, ce courant de pensée foisonnant, hybridant différentes traditions intellectuelles et militantes, nous invite à regarder la persistance de ce schéma oppressif, malheureusement d'une grande actualité : extractivisme, accaparement de terres, déforestation , « colonialisme vert », politique de « développement », racisme environnemental, pollutions… Autant de manifestations de l’« habiter colonial », pour reprendre la formule de Malcom Ferdinand, figure centrale de l’écologie décoloniale en France, ayant conduit par exemple au scandale du chlordécone, qui a contaminé massivement le sol des Antilles et causé de nombreux cancers. Partout dans le monde, en particulier dans le « Sud global », des mouvements sociaux résistent ainsi aux projets de prédation et aux injustices environnementales. Pour ces populations, pour qui « la maison est en feu depuis longtemps » et sont toujours les premières touchées, refuser le modèle dominant, demander justice, et inventer d’autres manières d’habiter la Terre est déjà une question de survie.
En cela, l’écologie décoloniale est aussi une remise en cause profonde de l’écologie dominante, occidentalo-centrée, dont la vision « universelle » et les appels à « sauver la planète » laissent de côté les questions raciales, sociales et de genre. « La façon dont nous définissons la crise fait partie de la crise elle-même », comme le souligne Arturo Escobar, anthropologue colombien et artisan de la pensée décoloniale latino-américaine. Par son langage, les notions et les luttes qui la nourrissent, l’écologie décoloniale nous exhorte à décentrer le regard, à cultiver d’autres savoirs et récits, à repenser le droit… Et reconnaître que « le “nous” face à la crise écologique n’est ni donné d’avance ni une évidence. Elle rend visible la pluralité recouverte hâtivement par ce “nous”, ses lignes de fracture, ses violences, ses dominations et ses temps ».(1)
(1) Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale : Penser l'écologie depuis le monde caribéen, Seuil, 2019.
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