La Marche du siècle, qui a eu lieu partout en France le 16 mars dernier parallèlement aux rassemblements organisés par les gilets jaunes, est auréolée d’un succès tout relatif compte tenu des enjeux: entre 150 000 et 300 000 personnes ont défilé au niveau national, soit moins de 0,5% de la population. Un premier coup de semonce encourageant selon les organisateurs, qui espèrent réunir encore davantage de monde la prochaine fois. Le problème serait donc essentiellement quantitatif.
Pourtant, ce sont certainement les pancartes et banderoles qui devraient le plus nous alerter. Dramatique: «sauver le climat» (ou, au choix, la planète, l’humanité); absurde: «Macron t’es foutu, les pandas sont dans la rue»; prosaïque: «arrêtez de niquer nos mers»; volontaire: «stop aux bla-bla, place aux actes». Sélection subjective, certes, et on ne peut bouder la longue tradition jouissive et incantatoire du slogan de manif’. Mais ces quelques phrases révèlent aussi un spectre qui hante l’écologie de longue date: sa dépolitisation.
Pollution des mers, dégradation de l’air, extinction des espèces, émissions de gaz à effet de serre… Une interminable cohorte de maux défile sur les pancartes. Ces maux qui bouleversent les équilibres climatiques et menacent l’intégrité de la biosphère. Ces mots qui désignent les causes de nos maux. Mais est-ce bien le cas? Ou prenons-nous les effets pour des causes?
Si l’anathème est parfois jeté sur le «système», l’analyse s’arrête généralement là. C’est pourtant un vieux débat qui est ici réactivé. L’essayiste et militant écologiste Murray Bookchin, dans Pouvoir de détruire, pouvoir de créer –un texte rédigé en 1969!–, nous mettait déjà en garde sur le mouvement écologiste qui, «s’il en reste à une lutte réformiste contre la pollution ou pour la conservation de la nature – l’“environnementalisme” – sans prendre en compte la nécessité d’une révolution au sens le plus large, servira seulement de soupape de sécurité au système actuel d’exploitation de la nature et des hommes». L’environnementalisme, c’est l’ombre instrumentale et technocratique d’une écologie finalement inoffensive.
Un projet positif et total
L’urgence de la situation, si elle doit nous enjoindre à l’action, ne doit pas nous épargner l’indispensable étape de l’identification. Pourquoi la plupart des individus sont contraints d’avoir recours à la voiture? Pourquoi développons-nous cette industrie qui mutile notre seul foyer? Pourquoi tous les luxes particuliers se transforment-ils en désirs partagés, et ces désirs en besoins? En résumé: il est grand temps que, collectivement, nous politisions l’écologie.
L’écologie n’est pas un projet négatif, qui pourrait se contenter d’ôter une liberté par ci, d’ajouter une taxe par là. L’écologie est un projet positif et total : tout doit être repensé, du rapport que nous entretenons à la «nature» à la structure socio-économique de nos sociétés, en passant par notre relation au temps, à l’espace, à la démocratie, aux sciences et techniques. Nous devons bâtir, dans la conflictualité et la diversité, une écotopie.
Une fois que nous aurons accepté cela, les traditions idéologiques pourront venir apporter leurs réponses, riches de leurs aspirations et de leurs échecs. Mais si nous ne formulons pas de projet qui approfondisse la démocratie et porte haut la justice sociale, aucune convergence des luttes, aucune réconciliation des verts, des jaunes, des rouges, n’est envisageable. L’écologie restera punitive, privative, injuste. Elle sera industrielle et technocratique. Elle n’accouchera que de nouvelles désillusions ou de nouvelles barbaries.
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