Edito

Faut-il être radical pour transformer notre société ?

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Réformistes contre révolutionnaires... Face aux enjeux du dérèglement climatique et à la répression policière que subissent gilets jaunes et activistes écologistes, cette vieille dualité politique n'a jamais été aussi actuelle. Où donc placer le curseur de la radicalité ? Que nous enseigne l'histoire sur l'usage de la violence ? La désobéissance civile va-t-elle ringardiser les manifestations ? Camus, le révolté, peut-il nous aider à y voir plus clair ? Les réponses dans ce nouveau dossier de Socialter consacré aux radicalités.

Être traité de « radical » n’a généralement rien de très flatteur. On entend : intégriste, extrémiste, utopiste, violent, marginal… « Pas très sérieux », en tout cas, voire dangereux. ­Depuis les années 80 et les débuts de la fin de ­l’Histoire, la conflictualité n’était plus la bienvenue. On préférait s’en référer à ­Jürgen Habermas qu’à ­Antonio ­Gramsci, rechercher le consensus, trouver des petits dénominateurs communs, puis pratiquer l’art de l’immobilité dans le mouvement – que tout change pour que rien ne change.

Mais voilà, ce mirage très commode s’est ­dissipé lorsque le monde occidental est entré dans le brouillard du XXIe siècle. Depuis l’an 2000, les crises, grosses d’indignations enkystées et d’espérances ravivées, se sont empilées plus vite que les bonnes nouvelles.

Comment s’étonner alors de découvrir que dans le sillage de ce cortège de crises se loge une cohorte de radicalités, certaines ­anciennes, d’autres nouvelles, certaines souhaitables, d’autres moins – c’est selon. Mais est-ce un mal ? Pas nécessairement, si l’on se refuse la paresse du parallèle avec « les années 30 » et que l’on ne craint pas chaque jour d’entendre sonner à nouveau « les heures sombres ». 

Qu’est-ce que la radicalité ? Nous l’interpréterons dans ce dossier d’après son sens étymologique (du latin radix, ­signifiant racine) : la radicalité est, d’un côté, une critique ou une proposition idéologique qui prétend remonter à la racine des problèmes ; de l’autre, un enracinement de la lutte, la fortification de ses moyens.
Ascendante et descendante, idéale et chtonienne, la radicalité opère une ­rupture à la fois avec le système idéologique dominant et/ou avec l’expression institutionnelle prévue pour le contester (le vote, la manifestation…). Un « et/ou » qui a son importance, car persiste la croyance que l’on peut être radical dans les idées mais pas dans les actes, ou l’inverse – ou les deux !


Face à l'urgence, la majorité

On peut effectivement peiner à transcrire en actes concrets des idées radicales ou, au contraire, être très radical dans ses affects, ses choix de vie, ses modes de revendication, tout en théorisant très peu. Mais une stricte séparation du ­savoir et du faire semble artificielle, tant un combat ­radical est un faire savoir autant qu’un savoir-faire. C’est du moins la position du philosophe Cornelius Castoriadis : 
« La théorie […] émerge constamment de l’activité elle-même. Éluci­dation et transformation du réel progressent[…] dans un conditionnement réciproque. » 

Ceci dit, la radicalité est-elle contre-productive? Car ­l’accusation d’être « trop radical » est vite formulée. ­Nécessaire, révélatrice, la radicalité devient nuisible car choquante ou pas crédible. La radicalité ne peut donc être abordée ou défendue sans réfléchir à son utilité et celle-ci ne peut-être conçue sans un examen du degré de ­radicalité. Reste à savoir quel degré nous souhaitons défendre. Une radicalité forte – qui s’exprime à travers des critiques sans concessions et une violence comme outil stratégique – peut nourrir une avant-garde de militants et d’intellectuels, mais risque de s’ostraciser la population.

À l’inverse, une radicalité plus modérée – qui formule des critiques structurelles, mais s’inscrit dans une logique de réformes, qui promeut stratégiquement une action ­directe, mais si possible non violente – peut toucher le grand nombre, mais risque d’être récupérée, détournée, rapidement essoufflée. 

Socialter se reconnaît aujourd’hui dans cette seconde forme de radicalité, car nous pensons, avec Castoriadis, avec André Gorz, que la transformation nécessaire de notre modèle de société et de son imaginaire, notamment en regard de l’urgence écologique, doit être l’œuvre de la grande majorité de la population ; que tous, nous aspirions à vivre autrement. Reste donc à ­savoir : sommes-nous assez radicaux ? L’êtes-vous ?



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