Les méfaits de l’agriculture industrielle sont désormais connus et documentés. Remplacement des écosystèmes complexes par des monocultures, déforestation pour accroître les terres arables, contamination durable des sols par les pesticides et intrants, perte de la qualité nutritive des aliments, contribution significative au réchauffement climatique, dépendance aux hydrocarbures, décimation des espèces animales du fait du recours abusif à la chimie de synthèse…
Le paradoxe de l'agriculture industrielle
Peut-on encore seulement parler d’agriculture ? L’expression « agriculture industrielle » constitue elle-même un bel oxymore, comme le relevait Ernst Friedrich Schumacher en 1973 déjà. « L’agriculture a pour “principe” fondamental de s’occuper de la vie, c’est-à-dire de substances vivantes. Ses produits sont le résultat de processus de vie. Ses moyens de production se matérialisent dans le sol vivant. [...] L’industrie a pour idéal de supprimer le facteur vivant, y compris le facteur humain, et de confier aux machines le processus de production (1). »
L’économiste britannique notait avec justesse que les deux principes s’opposaient radicalement, la vie étant un rempart contre le mécanisme répétitif des lois de l’univers, l’industrie constituant une offensive dirigée contre toute inexactitude, toute imprévisibilité, tout ce qui s’oppose à l’organisation optimale des choses. De fait, l’agriculture industrielle ne peut être que contre-nature. « Étudiez quel traitement une société fait subir à sa terre, et vous arriverez à des conclusions relativement dignes de foi quant à l’avenir qu’elle se réserve », concluait Schumacher. L’observation des allers-retours d’une inlassable moissonneuse-batteuse dans une étendue de maïs Bt 176 nous offre un aperçu relativement clair de cet avenir.
Bifurquer
Le temps du débat sur la justesse de ce système est révolu. De même, nous ne pouvons plus ergoter sur les « aménagements » à apporter au système industriel et la lutte contre ses « excès ». La seule alternative qui s’offre à nous est d’opérer une bifurcation rapide et ordonnée vers un modèle agroécologique respectueux des sols, des plantes, des écosystèmes et des hommes.
Est-ce faisable ? Oui. Pourrait-on nourrir tout le monde ? Oui. Partant de là, reste à débattre des modalités de cette sortie et des contours de cette agriculture post-industrielle. Rien n’est simple à ce stade.
Le bio est cher, trop cher pour beaucoup, et le rendre abordable n’est pas chose aisée. La sortie des pesticides, impérative, nous pousse à élaborer rapidement des procédés de décontamination des sols et de nouvelles méthodes de protection contre les ravageurs. Sans compter qu’il faudra redécouvrir les semences traditionnelles et ressusciter les légumes anciens. Si relocaliser la production alimentaire relève du bon sens, la notion d’autosuffisance peut aussi charrier son lot d’effets pervers. La désindustrialisation de l’agriculture et sa relocalisation entraîneront de forts besoins en main-d’œuvre, mais qui veut encore travailler au champ ? C’est donc aussi l’occasion d’inventer un nouveau modèle pour la paysannerie, la propriété terrienne et l’emploi que nous faisons des engins agricoles.
Mais au-delà de tous les arguments rationnels justifiant cette transition, c’est une réflexion sur notre rapport au monde qu’il faut mener. Une lutte pour que nous parlions demain de paysans plutôt que d’opérateurs machines, de terres plutôt que de surfaces, de fermes plutôt que d’exploitations, de Monstrueuse de Lyon plutôt que de tomate 1401F, de légumes et d’animaux plutôt que de produits et de marchandises.
(1) Ernst Friedrich Schumacher, Small is beautiful. Une société à la mesure de l’homme, Paris, Le Seuil, 1978.
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