Le cartésianisme, dont la civilisation moderne est profondément empreinte, est une pensée de la séparation. Un fossé clair et infranchissable est tracé entre l’homme et la nature, l’esprit et le corps, la pensée et la matière – au profit des premiers, et au détriment des seconds. Ce que nous appelons dorénavant l’Anthropocène, par les maux qu’elle enfante et les barbaries qu’elle laisse présager, vient clore le grand cycle cartésien, tandis que la matière ressurgit et les limites s’imposent à nouveau.
La société thermo-industrielle découvre l’entropie. Dans la thermodynamique classique, l’entropie renvoie au phénomène de dispersion de l’énergie dans un « système clos », phénomène de désordre croissant conduisant irrémédiablement ce système vers sa « mort ». Tel un verre d’eau chaude où l’on introduirait des glaçons, le déséquilibre thermique initial suivra sa course fatale vers l’équilibre et la mort dynamique : un verre d’eau tiède.
Dans une acception large, l’entropie s’applique évidemment à notre planète – système (presque) clos – où nous piochons notre énergie et nos ressources comme si nous étions tombé sur une caisse de champagne un soir de nouvel an. Ce que nous appelons « planète », ainsi que le rappelle Bruno Latour, n’est même en réalité qu’une « minuscule zone de quelques kilomètres d’épaisseur entre l’atmosphère et les roches mères. Une pellicule, un vernis, une peau, quelques couches infiniment plissées ». Voilà notre réalité : une vie vulnérable évoluant sur une surface étroite dans un système énergétique et matériel contraint.
Renoncer pour durer
Ce que notre société peine encore à intégrer était pourtant annoncé de longue date. Le mathématicien Norbert Wiener écrivait ainsi en 1950 : « Plus nous extrayons du monde, moins nous y laissons : sur le long terme, nous aurons certainement un jour à payer nos dettes. » Deux décennies plus tard, l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen illustrait la même idée par cette formule célèbre : « Chaque fois que nous produisons une voiture, nous détruisons irrévocablement une quantité de basse entropie qui, autrement, pourrait être utilisée pour fabriquer une charrue ou une bêche. Autrement dit, chaque fois que nous produisons une voiture, nous le faisons au prix d’une baisse du nombre de vies humaines à venir. »
En somme, toute activité productrice ou reproductrice, si elle requiert de l’énergie ou des ressources issues du sous-sol (qui seront irrévocablement dégradées ou détruites), doit faire l’objet d’un arbitrage en regard de son utilité. De ce postulat découlent deux choix de civilisation : soit nous continuons dans la trajectoire actuelle en espérant que nous serons secourus par d’hypothétiques énergies futures et ressources venues de l’espace – mais nous prenons le risque de nous effondrer brutalement avant la fin du siècle et de laisser un monde en ruines ; soit nous faisons le choix de durer, d’offrir les moyens de leur autonomie et de leur épanouissement aux milliers de générations à venir – mais nous devons renoncer à une bonne part de l’opulence matérielle actuelle.
Cette seconde option nous paraît, à Socialter, non seulement censée mais vitale. « Il va falloir atterrir quelque part », résume Bruno Latour. « D’où l’importance de savoir comment s’orienter ». En cela, la démarche low-tech qui fait l'objet de ce hors-série est une boussole qui pointe dans la bonne direction.
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