Finance fossile et greenwashing

Édito. Parler cash

Illustrations : Vincent Bergier

Découvrez l'édito de notre numéro « Fric fossile : Qui finance la fin du monde ? » par Elsa Gautier, rédactrice en chef de Socialter.

Il y a 15 ans, l’hostilité de l’opinion publique à l’égard des traders était tellement forte que certains d’entre eux préféraient rejoindre leurs bureaux de la City en jogging, avec leur costume plié dans un sac, par crainte d’être pris à partie, raconte l’économiste Gaël Giraud1. Nous étions au lendemain du krach de 2008, qui avait dévasté l’économie mondiale et mis au jour la rapacité d’un système financier hors de contrôle.

Édito de notre numéro 65 « Fric fossile ». En kiosque le 14 août, en librairie et sur notre boutique.


L’onde de choc est alors si puissante qu’en 2012, François Hollande, socialiste bon teint en lice pour la présidentielle, désigne dans un discours musclé « le monde de la finance » comme son principal adversaire : « Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti et pourtant il gouverne. (...) Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies. » En France, le système bancaire a longtemps été sous contrôle public. Mais la libéralisation financière radicale entamée au milieu des années 1980 a en effet donné le premier rôle aux marchés, aux banques d’affaires et aux fonds de pension. Face à ce pouvoir exorbitant, la bataille promise par le candidat socialiste n’aura pourtant jamais lieu. Plot twist : deux ans après son discours, Hollande, installé à l’Élysée, choisit de nommer au ministère de l’Économie, un… banquier d’affaires, Emmanuel Macron. Le monde de la finance a désormais un nom et un visage, bientôt un parti. Il n’a pas cessé depuis de gouverner.

Aujourd’hui, la confrontation avec le pouvoir de la finance n’a jamais été aussi nécessaire. Car la logique de rentabilité des banques privées et des fonds d’investissement, imperméables aux arguments « extra-financiers », continue de pousser l’expansion fossile. Quand bien même les émissions générées par les mines de charbon et champs pétrogaziers déjà en exploitation ou en chantier suffiraient à exploser le budget carbone qui nous reste. Dans le domaine financier, le problème climatique n’est pas, comme on l’entend souvent, un problème d’inertie. Au contraire, c’est celui d’une frénésie d’investissements, qui conjure à coups de milliards le déclin des gisements les plus accessibles. Et la frontière extractive recule sans cesse, grâce au soutien de grandes banques, comme le documente chaque année le rapport Banking on climate chaos. Rien qu’en 2023, la Française BNP Paribas a par exemple octroyé une enveloppe estimée à 33 millions de dollars à l’exploitation du sous-sol de l’Arctique et 100 millions supplémentaires pour des forages off-shore « ultra-profonds », à plus de 1 500 mètres sous la surface de la mer.

L’allocation – supposée optimale – des capitaux par le marché nous condamne en réalité au chaos climatique. Et la « finance verte » reste une vaste blague. Dernier exemple en date : le fonds Altérra, lancé l’année passée en grande pompe par le Sultan Al Jaber lors de la COP28, a soutenu en mars l’achat d’un gazoduc en Oregon2. « La “main invisible du marché” ne peut pas construire la transition », résument Alain Grandjean et Julien Lefournier dans L’Illusion de la finance verte. Le respect des limites écologiques impose donc une rupture de paradigme, pour l’économiste Laurence Scialom, qui défend « une réhabilitation des interventions publiques fortes, contraignantes et coordonnées au niveau mondial (...) interférant avec les mécanismes de marché et parfois avec la liberté des affaires et la liberté d’entreprendre ».De quoi rendre enfin « verts » les acteurs de la finance. Verts de rage. 


1. Préface à l’ouvrage d’Alain Grandjean et Julien Lefournier, Lillusion de la finance verte (éditions de l’Atelier, 2021).

2. Climate Home News, 24 juillet 2024.

3. « Le marché ne sauvera pas la planète »,  tribune parue dans Alternative économiques, 3 février 2022.

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