Dans Éloge du bricolage (PUF, 2023), vous envisagez le bricolage non comme une simple pratique du quotidien, mais comme un mode de pensée. À quoi ressemble ce rapport bricoleur au monde ?
Le mot « bricolage » vient de bricole, qui désignait au Moyen Âge une catapulte. Le terme a ensuite pris le sens de ruse, de moyen détourné. La logique du bricolage s’oppose à mes yeux à la logique d’ingénieur. Cette dernière fixe des finalités – un but à atteindre, un objet à fabriquer – et, en fonction de la théorie, décide de la pratique. Elle vise un optimum, c’est-à-dire la voie la plus courte et la plus économe en moyens.
Article issu de notre numéro 61 « Reprendre les choses en main », en kiosque, librairie et sur notre boutique.
Pour penser le bricolage, je m’inspire d’un texte de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, paru en 1962 dans La Pensée sauvage, dans lequel il réfléchit à la « science concrète » des peuples qu’on appelait à l’époque « primitifs ». Il oppose le comportement de l’ingénieur, qui subordonne son projet à l’acquisition de matières premières et d’outils sur mesure, à celui du bricoleur, qui s’arrange avec des moyens précontraints. Dans la logique d’ingénieur, la fin justifie les moyens. La logique bricoleuse que je propose consiste à inverser les fins et les moyens et à considérer que ce sont les « moyens du bord », les moyens déjà là – choses et êtres vivants...