Pour obtenir un consensus, il est très important que chacun puisse voir la situation à travers les yeux des autres. Par exemple, il est capital que les salariés voient l’affaiblissement de leurs conditions de travail avec les lunettes de leurs patrons. Il faut les comprendre : ils ont des « charges sociales » à payer. Le droit a beau parler de « cotisations » sociales ou salariales, on préfère « charges », qui reflète beaucoup mieux la situation : les patrons portent une charge, leurs employés. Maintenant conscients du poids qu’ils représentent, ils doivent mériter leur salaire et accepter de faire des efforts pour s’alléger eux-mêmes. La substitution sémantique n’est pas toujours nécessaire puisque parfois la colonisation imaginaire suffit. Prenons « assistanat », par exemple.
On pourrait se dire que les assistés, ceux qui reçoivent assistance de l’État, c’est plutôt les entreprises, et même plutôt les grosses. Ou bien les riches, qui échappent à l’impôt en montant dans la courbe des revenus et du patrimoine, en bénéficiant de mécanismes d’optimisation fiscale, pour ne pas dire d’évasion. Pourtant, quand nos éditorialistes préférés hoquètent « assistanat », c’est bien l’image des pauvres qui surgit à nos consciences. Les traîne-lattes, les professionnels du RSA, les cumulards de prix discount. Et chacun sent monter l’angoisse d’en devenir un, d’assisté. De n’être que ça aux yeux des autres.
Le renversement des représentations aura alors été extrêmement efficace dans son œuvre : infliger à tous la violence symbolique des dominants, ainsi que la décrivait si bien Frédéric Lordon : « Insensible et inconsciente, non pas physique mais gnoséologique, la violence symbolique consiste en l’imposition aux dominés des catégories des dominants, et par conséquent de principes de vision qui leur font appréhender un monde objectivement contingent et défavorable comme naturel et acceptable – parfois même heureux. »
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