En 1376, seulement six ans après son apparition, les pêcheurs de casiers envoyèrent une pétition au roi Édouard III à propos du déclin des populations de poissons engendré par un nouvel engin destructeur, le chalut qui « détruit les fleurs de la terre sous les eaux, et aussi les bancs d’huîtres, de moules et aussi les autres poissons qui servent de nourritures aux prédateurs ».
Cet article a été initialement publié sur The Conversation sous licence Creative Commons.
Ils ajoutaient que ce gâchis profitait bien peu à tous : « Par cet instrument, les pêcheurs prélèvent dans de nombreux endroits une quantité de petits poissons dont ils ne savent que faire, et ils nourrissent et engraissent leurs cochons avec, endommageant les communs et engendrant la destruction des pêcheries. »
Le roi décréta qu’il fallait l’utiliser en eaux profondes, mais le chalut ne fut pas interdit.
Surexploitation généralisée
Le chalut est un filet en forme d’entonnoir, traîné par des câbles reliés au navire (appelé chalutier). Son efficacité a contribué à sa popularité dans le monde de la pêche et il permet aujourd’hui de réaliser plus de la moitié des captures mondiales des côtes, à plus de deux kilomètres de profondeur.
Il est également considéré comme une cause de perturbation majeure des fonds marins et de destruction de la biodiversité. Parfois surnommés les « bulldozers », les chalutiers opèrent sur tous les plateaux continentaux du monde, là où se développent une faune et flore particulièrement riches. Si le fond est meuble, les sédiments seront mis en suspension ; s’il est solide, les structures vivantes, telles les coraux froids ou chauds ou les herbiers, seront détruites. Des forêts animales marines incroyables de beauté et de complexité, résultant d’une vie benthique importante, sont détruites et les habitats transformés en déserts sous-marins.
Dès son introduction en tant que technique de pêche, le chalut a été perçu comme un engin de destruction de l’habitat des fonds sous-marins. Une innovation récente a encore « amélioré » l’efficacité de ces engins dans un contexte de surexploitation généralisée dans les eaux européennes : la pêche électrique. Le déploiement de cette nouvelle méthode, par ailleurs interdite dans la plupart des pays de pêche du monde (y compris en Chine) a permis depuis 2007 d’équiper les navires d’électrodes qui envoient une impulsion électrique dans le sédiment afin d’en déloger les animaux qui y vivent.
Filet électrique de chalutage. © Bloom
Les Pays-Bas se sont distingué ces dernières années dans cette pratique peu durable : alors qu’ils ne devraient disposer que de 14 licences de chalut électrique, ce sont dans la réalité 84 de leurs navires qui en sont pourvus. Ce regain (illégal) d’efficacité rend la compétition avec les autres pêcheurs européens déloyale.
Ainsi les pêcheurs français sont-ils obligés de reporter leur effort de pêche en Manche pour éviter la cessation d’activité. Ils dénoncent une méthode de pêche irresponsable aux conséquences dangereuses pour l’ensemble de l’écosystème et l’équilibre économique du secteur.
La fin de la pêche électrique pour 2021
Après un long combat mené par l’ONG Bloom contre cette pratique de pêche, une étape a été franchie le 13 février dernier à Strasbourg, les négociateurs représentant les trois institutions européennes (Parlement, Conseil et Commission) étant parvenus à un accord : la pêche électrique sera totalement interdite aux navires de pêche de l’Union européenne dans toutes les eaux qu’ils fréquentent, y compris en dehors de l’UE, au 30 juin 2021.
Cette décision devrait aider à retrouver le chemin de la durabilité pour le milieu marin, mais également pour nombre de pêcheurs, une profession en mutation qui aura bien du mal à affronter le futur si elle n’évolue pas. Et cette évolution ne se fera pas en électrifiant les chaluts, mais en innovant et en investissant dans la recherche.
À l’heure de l’intelligence artificielle, il est grand temps que les engins de pêche, hérités d’un passé lointain où les ressources semblaient infinies, s’améliorent. Il faut des engins capables de prélever sans détruire les espèces non désirées, protégées, ou encore les habitats et les forêts animales marines. Au Canada, la pêche à la morue se pratique par exemple dans certaines zones à l’aide de casiers, ce qui ne produit aucun rejet, aucun impact sur les habitats et des revenus améliorés pour les pêcheurs.
La promotion des pêches artisanales, économes en énergie fossile, respectueuses de la biodiversité et des habitats marins doit devenir une priorité. Une alimentation de la mer durable dans des écosystèmes marins protégés et en bonne santé sera l’enjeu des dix prochaines années.
Photo de couverture : Capucine Dupuy. Retrouvez l’intégralité de la BD de Capucine Dupuy et Terreur graphique sur le site de l’association Bloom.
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