Contre l'idiocratie, mener la guérilla du rire
Découvrez l'édito du numéro 48 de Socialter : Idiocratie, comment la médiocrité nous gouverne
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Voilà le pitch d’Idiocracy, satire sortie sur les petits écrans en 2006 et qui a accédé depuis au rang de « film culte », tel un monument dressé en l’honneur du mépris de classe. Impossible de se tromper sur le sous-texte : en haut de l’échelle sociale, l’intelligence, l’élection, la pondération ; en bas, les cons.
Des cons qui regardent des conneries, jouissent de leur irresponsabilité, salopent la planète, pullulent, bref des cons qui se comportent en vrais imbéciles et finiront par porter d’autres idiots au pouvoir. Quelques observateurs incurablement avisés n’auront pas manqué de souligner le caractère prophétique du film de Mike Judge lors de l’élection de Donald Trump par des hordes d’abrutis réactionnaires, lorsque ce ne sont pas de pauvres bougres un peu limités, donc aisément manipulables par des algorithmes ou les fièvres réactionnaires de la chaîne Fox News.
À n’en pas douter, Idiocracy donne corps au complexe de supériorité des classes dominantes et à leur vision des dominés, à leur complaisance vis-à-vis de ces foules serviles qui prouvent par leur ignorance qu’elles ont besoin de bergers pour ne pas courir au précipice. Et voici notre ordre social paisiblement conforté de la certitude crasse que la hiérarchie de classe ne répond qu’à un impératif de « pragmatisme ». N’est-ce pas là le mot que le personnel interchangeable des plateaux télé nous rabâche à longueur d’antenne ? Ou bien qu’ils sont « trop intelligents », subtils, incompris ? Que leur faute réside principalement dans un manque de pédagogie ? Que les critiques ne peuvent provenir que de procureurs de sofa, d’envieux qui n’ont pas réussi à se lever tôt, à traverser la rue pour trouver du travail, à monter une start-up, à acquérir les soft skills nécessaires à l’exercice d’une profession compatible avec la marche néolibérale du monde ? Les Français ont décidément la tête dure. Particulièrement ces misérables Gilets jaunes, membres desdites classes populaires. On se rappelle assez nettement ces espaces-temps où dominants et dominés se sont fait face un bref instant : les sourires condescendants et la gêne des premiers ; la maladresse des seconds, peinant à s’exprimer avec le même langage, leurs corps parfois humiliés, parfois mutilés.
Aucun mépris ne nous vient pour ceux-là qui, loin de vouloir se reproduire, remplir leur caddie de sodas et brûler de l’essence dans des combats de monstertrucks, réclamaient simplement le respect, la dignité, la considération, la décence. Que nous soyons collectivement abrutis, que nous formions les foules aliénées d’un projet de transformation de l’homme en une sorte d’estomac monté sur pattes ou en machine à consommer, cela ne fait aucun doute. Mais pourquoi devrions-nous nous en prendre à ceux qui font face à la plus grande adversité et parfois à la plus grande nécessité ? Non, notre mépris va plutôt à ces méprisants de la République, du monde économique, de la grande industrie, de la révolte autorisée sur heure de grande écoute, à eux qui ont érigé le défaut de jugement en art et, finalement, ont trahi le rôle qu’ils s’étaient historiquement eux-mêmes confié. Leurs sauts de menton outrés nous amusent. Certes, la campagne présidentielle qui s’ouvre n’a au fond rien de drôle. Nous atteindrons probablement un sommet dans le grotesque, et aucun des sujets capitaux de notre temps ne sera abordé – c’est d’ailleurs pour cette raison que nous en parlerons peu dans nos pages. Mais même si cela n’est pas drôle, nous pouvons encore en rire : du rire sardonique des vaincus provisoires. En attendant que ce mauvais moment passe et à défaut de faire retraite, du moins pouvons-nous protester en menant une « guérilla du rire » contre les médiocres qui gouvernent nos existences.
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