Guérilla juridique : 2/5
Ils sont représentants d’associations, d’ONG, militants, ou simples citoyens… et ils ont choisi de porter leur combat écologique autrement : en traînant leur État devant les tribunaux. Depuis l’accord de Paris, les procès climatiques explosent. Alors que 884 avaient été enregistrés, dans 24 pays, en 2017, 1 550 ont été déposés, dans 38 pays, en 2020, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement. Rapidement, de premières victoires ont été remportées.
L’une des dernières en date a eu lieu le 14 octobre dernier, lorsque le tribunal administratif de Paris a non seulement ordonné au gouvernement français de « réparer le préjudice écologique » causé par le non-respect de ses engagements, mais aussi de « prévenir l’aggravation de ces dommages ». Selon cette décision de justice, l’État a jusqu’au 31 décembre 2022 pour compenser le surplus d’émissions de GES de la période 2015-2018. Un succès pour les activistes de « L’Affaire du siècle », regroupant quatre ONG (Notre affaire à tous, Greenpeace France, Oxfam France, et la Fondation Nicolas Hulot), qui ont assigné l'État en justice pour « inaction climatique ».
Celui-ci doit également respecter l’ultimatum imposé par le Conseil d’État au mois de juillet dans un autre recours, déposé par la ville de Grande-Synthe, dans le Nord, particulièrement menacée par la montée des eaux. Dans le cadre de ce qui est considéré comme le premier « procès climatique » en France, la plus haute juridiction administrative a « enjoint le gouvernement à prendre des mesures supplémentaires d’ici le 31 mars 2022 pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de GES de 40 % d’ici 2030 ».
En se réappropriant une souveraineté déléguée, les associations ont initié une sorte de révolution de la gouvernance qui s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus global, voire planétaire. Pour les militants à l’initiative de ces procédures, le déclic se fait en 2015 lorsque l’ONG néerlandaise de défense de l’environnement Urgenda entame une action en justice au nom de 886 citoyens. À l’époque, le pays figure parmi les plus gros pollueurs par habitant de l’Union européenne, et les plaignants réclament une série de mesures pour réduire les émissions de CO2 des Pays-Bas de 40 % d’ici à 2020.
Quelques années plus tard, la justice néerlandaise condamne définitivement l’État et à réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25 % d’ici à 2020. « Ces décisions vont dans le sens d’une construction du droit par degrés, explique Corinne Lepage, ex-ministre de l’Environnement et avocate de la commune de Grande-Synthe. Chaque décision de justice rendue par un pays sert de marche d’escalier à un autre. » Christel Cournil, professeure de droit public à Sciences Po Toulouse et spécialiste des liens entre les droits de l’Homme, l’environnement et la justice climatique, insiste sur la portée symbolique des procédures : « L’Affaire du siècle a permis de rythmer le quinquennat d’Emmanuel Macron autour des enjeux climatiques. La société civile utilise désormais cette arme comme un plaidoyer. »
Cependant, sachant que le juge ne donne aucune précision concernant les actions que doit prendre l’État fautif pour rentrer dans les clous de ses engagements, la multiplication de ces contentieux permettra-t-elle, à terme, de rendre contraignants les traités internationaux dans les frontières nationales ? « Il y a ici une application en deux temps de l’accord de Paris : les avocats français s’appuient dessus puis, peu à peu, les juges nationaux dessinent les contours de ces obligations climatiques de façon plus spécifique », veut croire la juriste.
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