Cet entretien avec Hartmut Rosa est à retrouver dans notre hors-série "Libérer le temps".
Vous considérez que la modernité se définit par l’accélération technique, l’accélération du changement social et l’accélération des modes de vie. Historiquement, quand identifiez-vous ce grand basculement : c'est-à-dire le passage d'une société de relative permanence à une société d'accélération ?
L’accélération du développement technologique ou civilisationnel semble être un processus plus ou moins « naturel » dans l’histoire de l’humanité. La vie sociale ne demeure pas la même, que ce soit par accident, à cause des bouleversements environnementaux comme le changement climatique, ou en raison de la curiosité humaine qui aboutit à de nouvelles inventions tout en conservant les anciennes. Ce développement implique déjà une forme d’accélération. Cependant, au xviiie siècle s’opère un changement significatif : l’accélération devient une caractéristique inhérente à la structure sociale. J’appelle cela le passage à un « mode de stabilisation dynamique ». Cela signifie qu’à partir de cette époque, les sociétés modernes ne peuvent maintenir leur structure institutionnelle – le nombre d’emplois, le système de santé, le système éducatif, le système de protection sociale, les arts et les sciences, etc. – qu’à travers une accélération incessante, qui prend également la forme de la croissance...