Découvrez notre recension de « On s’est battu·es pour les gagner. Histoire de la conquête des droits en France » par Mathilde Larrère aux Éditions du Détour.
« L’histoire sociale enseigne qu’il n’y a pas de politique sociale sans un mouvement social capable de l’imposer », écrivait Bourdieu. L’histoire officielle présente pourtant la conquête des droits comme une série de dates de lois assorties du nom du ministre ou du président qui les ont portées ou signées : De Gaulle aurait donné le droit de vote aux femmes, Waldeck-Rousseau offert le droit de syndiquer, Napoléon III reconnu le droit de grève. L’historienne engagée Mathilde Larrère en a eu « marre » de cette vision réductrice qui efface « les mois, les années, les décennies de luttes acharnées, inventives, déterminées pour arracher ces droits, parfois les exercer avant même qu’ils ne soient proclamés ».
Avec On s’est battu·es pour les gagner (référence à un slogan des manifs contre la réforme des retraites), elle propose une contre-histoire, centrée sur le collectif et le temps long : « Une histoire populaire des droits en France : c’est-à-dire une histoire des droits humains tels qu’ils ont été pensés, réclamés, arrachés, conquis, défendus quand ils étaient attaqués, par des révoltes, des manifestations, des grèves, des organisations, des textes, des pétitions, des sit-in, des recours en justice et tant d’autres inventions d’un large répertoire d’actions. »
Le projet, ambitieux, couvre la période de 1798 à nos jours, au fil de chapitres thématiques : conquête des droits naturels, des droits sociaux, des droits des travailleurs, des droits reproductifs, des droits des « sans-papiers » et des personnes LGBTQIA+. Au côté de luttes célèbres (abolition des privilèges, obtention des congés payés, légalisation de l’avortement par exemple) sont retracés des épisodes moins connus mais tout aussi centraux : la conquête du droit de vote par les anciens esclaves, les stratégies des suffragistes se présentant à des élections malgré leur inéligibilité, les grèves des ouvrières pendant la Première Guerre mondiale pour obtenir 36 heures de repos hebdomadaires, les batailles législatives pour dépénaliser l’homosexualité ou les luttes peu fructueuses des « sans-papiers »…
On aurait parfois voulu voir ces batailles plus détaillées, mais il aurait alors fallu dix tomes. À chacun et chacune d’écumer les notes de bas de page ou de plonger dans des vortex Wikipédia pour suivre les pistes ouvertes. Mais de chapitre en chapitre se dégagent des constantes : un droit s’obtient dans le temps long, des tentatives manquées annoncent les suivantes qui porteront leurs fruits – et les réussites risquent toujours d’être rognées, voire supprimées. « Les droits humains se gagnent, se défendent, s’inventent toujours. Ils sont en mouvement parce que leur reconnaissance ne se cantonne pas aux avancées juridiques et législatives, aussi essentielles soient-elles. »
Ou pour le dire avec les mots d’Ambroise Croizat, ouvrier métallo, ministre communiste du Travail en 1945 et artisan de la Sécurité sociale : « Ne parlez pas d’acquis sociaux, parlez de conquis sociaux, parce que le patronat ne désarmera jamais. » Il faudra donc toujours lutter, mais conclut Mathilde Larrère : « La lutte paie. »
On s’est battu·es pour les gagner. Histoire de la conquête des droits en France Mathilde Larrère, illustrations de Fred Sochard Éditions du Détour → 29 août 2024 - 240 pages - 19,90 €
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