Il y a moins d’une semaine, le Guardian révélait que le dernier iPhone d’Apple contenait un protocole de sécurité qui l’empêche d’être réparé par des indépendants. Si vous avez osé faire appel à des services non agréés, “l’erreur 53”, de son petit nom, rendra alors votre téléphone complètement inutilisable au moment de la mise à jour de son système d’exploitation.
Les techniques d’obsolescence programmée atteignent là des sommets de malice. Pratique courante, ce terme désigne les moyens visant à délibérément réduire la durée de vie d’un produit afin que le consommateur soit plus enclin à en racheter un. Le phénomène existe depuis presque un siècle ; on connaît l’histoire du bas-nylon, né dans les années 1940, qui était si résistant qu’on n’avait pas besoin de le renouveler. En modifiant la fabrication des collants, ils se remirent à filer et les ventes reprirent.
L’idée est partie d’une bonne intention économique, puisqu’il s’agissait de stimuler la consommation et ainsi de nourrir la croissance. Mais il y a de quoi rendre paranoïaque et on se demande pourquoi la chose n’a pas indigné plus que cela. “Dans les années 1970, le sociologue Baudrillard a bien émis une première critique, qui a vite été jetée aux oubliettes”, précise Laetitia Vasseur, présidente et co-fondatrice de HOP.
Écologiquement intenable, socialement injuste
L’association Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP) fédère aujourd’hui les initiatives citoyennes qui luttent contre ce phénomène. “C’est la première fois qu’une association de consommateurs s’attaque à ce sujet”, ajoute la jeune femme. Auparavant, seules des organisations environnementalistes le dénonçaient. Le sujet a commencé à faire véritablement parler de lui depuis quelques années, à la suite de documentaires comme Prêt à jeter, diffusé sur Arte en 2010. Le problème ne se restreint pas au champ de l’écologie. Il concerne la société dans son ensemble, et les clients ne sont plus dupes. L’obsolescence programmée a enfin été reconnue comme délit dans la loi Transition énergétique entrée en vigueur en août dernier.
Votre mobile est entièrement “moulé” donc impossible à réparer ? Votre machine à laver tombe en panne quelques jours après la fin de garantie ? Vos logiciels deviennent incompatibles avec la nouvelle mise à jour ? Votre vieux PC n’est plus assez “trendy” pour aller en réunion ? Vous êtes victime de “désuétude planifiée” et il ne vous reste plus qu’à ressortir votre carte de crédit. Les plus modestes d’entre nous sont les premiers à en payer le prix, car ils optent pour des produits peu chers, ceux-là même qui deviennent obsolètes plus vite. Une information transparente sur la durée de vie des biens qu’on achète est donc nécessaire.
“Nous nous élevons contre un modèle de (sur)consommation qui est non seulement écologiquement intenable, mais aussi injuste pour les consommateurs”, continue Laetitia Vasseur. Âgée de 27 ans, elle a lancé HOP en juillet 2015, après s’être spécialisée sur ces problématiques en tant que collaboratrice parlementaire de Jean-Vincent Placé (président du groupe écologiste au Sénat) pendant trois ans.
Éviter de se faire avoir par le système
Ils sont désormais une vingtaine de bénévoles de tous horizons à faire vivre l’association, et 1500 adhérents à la soutenir. Parmi les objectifs que s’est fixés HOP dans son manifeste publié sur son site web : aller vers un mode de vie plus sobre, concevoir des produits plus durables et plus réparables. “On ne se revendique d’aucun parti”, souligne la présidente de l’association,“mais c’est clairement un projet politique –au “vrai” sens du terme– car on défend un modèle de société beaucoup plus large”.
HOP s’est rapidement entourée de nombreuses “associations amies”, comme Zero Waste France, Amis de la Terre ou France Nature Environnement. La priorité : sensibiliser et informer les citoyens, pour que chacun prenne conscience des conséquences de la surconsommation. Sur sa plateforme ProduitsDurables, consommateurs et réparateurs peuvent ainsi noter “les bons et les mauvais élèves”, afin de signaler les produits conçus pour être jetés avant l’heure, ou au contraire encourager les marques faisant des efforts.
L’association donne aussi des conseils concrets pour éviter de se faire avoir par le système : “Pour faire votre choix, faites un tour sur le site Garantie5ans créé en 2012 pour faciliter la recherche de produits ayant une garantie longue.” Si l’objet vient quand même à casser, CommentReparer propose des pistes de bricolage. En cas de panne électronique, HOP vous aiguille vers des “professionnels de la bidouille” ou des FabLab. N’en déplaise à Apple, il existe mille façons de prolonger la durée de vie de ses joujoux.
Objectif justice
Lors d’un premier événement ouvert au grand public le 23 janvier dernier, HOP a rempli La REcyclerie à Paris de plusieurs centaines de visiteurs curieux de découvrir “les alternatives à l’obsolescence”. On entend souvent parler des “repair cafés” qui fleurissent sur le territoire, mais Spareka étend le concept : grâce à des tutoriaux vidéo, l’entreprise redonne du pouvoir au consommateur qui, de chez lui, peut apprendre à réparer son électroménager en quelques minutes. La plateforme établit des diagnostics de panne, livre les pièces détachées nécessaires, et redirige vers des professionnels seulement lors de situations compliquées. “Cela redonne du sens au métier de réparateur, qui perd moins de temps sur des pannes simples qu’on peut régler soi-même”, explique l’équipe aux visiteurs rassemblés à son stand.
À quelques mètres, les membres de Back Market initient, eux, au reconditionnement des objets électroniques inutilisés ou usés. “Il est vrai qu’on a envie de changer de téléphone tous les 18 mois”, constate Vianney, l’un des fondateurs. “Alors nous voulons répondre à ce désir de consommation qui existe, mais de façon intelligente.” Les particuliers peuvent ainsi léguer leurs vieux appareils, qui seront remis à neuf par les usines partenaires de Back Market et feront le bonheur des autres. L’objectif serait de démocratiser cette pratique au maximum, “de faire du reconditionnement un business”, mais aussi de créer un attachement au produit qu’on acquiert pour éviter de s’en débarrasser trop rapidement : “Les objets ont eu une vie avant. Il ne s’agit plus ‘d’acheter’ mais ‘d’adopter’ son prochain iPhone !”
Ce “HOP day” a été un vrai succès pour l’association qui n’attendait pas tant de monde. “On a reçu des retours très positifs et des demandes pour devenir bénévoles”, glisse la jeune présidente. Depuis la loi Hamon du 17 mars 2014 relative à la consommation, des associations ayant un an minimum d’existence et au moins 10.000 adhérents peuvent engager des actions en justice. À terme, l’ambition de HOP est donc de poursuivre les industriels et distributeurs qui favorisent l’obsolescence programmée. Laetitia Vasseur n’en démord pas : “La définition du délit était une avancée importante. Mais pour aller plus loin, il faut équilibrer le rapport de forces qui est encore inégal entre des lobbies industriels trop puissants et des voix de consommateurs dispersées.”
Crédits photos (1ère et deux dernières) : ©2016 LES FRERES VANDERLINDEN
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