Il semble connaître tout le monde dans sa librairie. Il salue les clients, discute, rit avec eux et donne des conseils de lecture. À La voie aux chapitres (Lyon 7e), Sylvain Fourel correspond très bien au portrait que l’on se fait du libraire indépendant : aimable, souriant et proche de ses clients. "Le livre souffre moins de la conjoncture économique, les ventes restent extrêmement stables" affirme-t-il.
Serait-ce un déni de réalité face au rouleau-compresseur Amazon ? À Lyon, nous sommes partis à la rencontre des libraires indépendants et de leurs clients. Leurs portraits révèlent un attachement très fort à ce commerce culturel de proximité.
Le conseil, le contact, et l’odeur du livre
"Je viens ici pour le conseil, le contact…et l’odeur du livre !" comme le résume une cliente. Les clients invoquent souvent ces mêmes raisons pour justifier leur fréquentation des librairies indépendantes. Lorsque que l’on évoque Amazon, les regards parlent d'eux-mêmes : c’est un sujet qui fâche. Beaucoup avouent l’utiliser mais prônent un militantisme dans le fait de venir en librairie indépendante en refusant ainsi de cautionner le modèle économique d’Amazon et ses pratiques fiscales.
Les gérantes de la librairie Astragale (Lyon 6e) : "L’investissement prime pour le moment : on ne se paie pas de salaire, mais on rentre dans les chiffres. Nous essayons de toucher le grand public mais aussi un public plus pointu, dans un lieu convivial et fun. La moyenne d’âge est de 40 ans, des cadres avec enfants, niveau de vie élevé. C’est un quartier de bobos –sans connotation péjorative-, nous sommes d’ailleurs un commerce de bobos."
Mais d’ailleurs, qui sont ces clients des librairies indépendantes ? Vincent Chabault, Maître de conférences en sociologie, chercheur au Centre de recherche sur les liens sociaux (CNRS), est l’auteur du livre Vers la fin des librairies?. Il dresse un profil type des clients des librairies indépendantes, à l’échelle nationale : "ils représentent 31 % de la population française. Ce client-type appartient plutôt aux cadres et aux professions intellectuelles supérieures, et, dans la moitié des cas, il est diplômé d’un diplôme de 2ème ou 3ème cycle."
Cette clientèle est sensible aux animations culturelles proposées dans les librairies comme les rencontres, les conférences, les expositions... "Il faut que le lecteur soit attaché à sa librairie, qu’il la considère comme un espace de définition de soi et qu’il ne soit pas seulement vu comme un client." Ces activités culturelles constituent un enjeu important, renforçant le rôle symbolique des librairies qui viennent légitimer nos choix de lecture et renforçant l’attachement des lecteurs.
Marc Jéru est le gérant de la librairie Le Livre en Pente (Lyon 1er). Il côtoie beaucoup les marchés lyonnais le week-end : "Les gens lisent moins, ça se voit dans les marchés. À la Guillotière, le soir, tu le vois bien, les livres tu les remballes. Même un Kafka à 2€ ça ne part pas."
L’union des librairies fait la force
Un autre moyen qu’ont trouvé les libraires pour fidéliser une nouvelle clientèle habituée aux avantages du e-commerce est la mutualisation grâce à une plateforme en ligne. C’est dans cet esprit que l’association Libraires en Rhône-Alpes a lancé Chez-mon-libraire.fr. Il suffit de rentrer le titre d’un livre pour le trouver dans la librairie la plus proche. Il est alors possible de le réserver et d’aller le chercher, ou alors le commander s’il n’est pas disponible. C’est une excellente initiative pour Georges Kepenekian, 1er Adjoint au maire de Lyon, délégué à la culture, aux grands évènements et aux droits des citoyens: "ce service est un succès qui permet à la profession d’être mieux organisée que par le passé. La ville a un rapport particulier au livre, avec les Quais du Polar et la fête du livre à Bron, on fait souvent appel aux librairies indépendantes."
Gérant de Vivement Dimanche (Lyon 1er) : "Tous les libraires non gestionnaires, comme Virgin, sont morts. Les indépendants sont beaucoup plus réactifs. Ce sont les libraires qui lancent les nouveaux auteurs, pas Amazon."
Ce constat est partagé par Sylvain Fourel, gérant de La voie aux chapitres et aussi co-président de l'association Libraires en Rhône-Alpes. Selon lui, "il y a une belle communication, c’est un succès. Avec la mutualisation, on fait des choses que les autres ne font pas, il y en a pour tous les goûts".
La librairie Astragale (Lyon 6e) a ouvert ses portes au mois de juillet. A peine rentré, on sent la volonté de faire de la librairie un cadre convivial, pour tous les publics. Une musique détend et installe une ambiance chaleureuse. Les gérantes partagent le même enthousiasme pour Chez-mon-libraire.fr: "On est tous dans le même bateau, autant se soutenir. Cela montre qu’on sait utiliser ces outils, et en plus, les frais d’inscription sont très bas". D’ailleurs, preuve que le numérique n’est pas un outil délaissé, 90% des librairies indépendantes utilisent au moins un outil de communication web, et 67% ont une page Facebook.
Les subventions, un refus de s’attaquer à un problème structurel ?
Si ces nouvelles initiatives semblent faire consensus, il existe toutefois une pomme de discorde autour des dispositifs d’aides pour ce commerce de proximité. Des voix s’élèvent contre le système de subventions qui ne règlerait pas les problèmes de fond. "On ne crache pas dessus. Cependant, ce n’est pas normal de devoir compenser nos fragilités par des subventions", dénonce la gérante de La Page Suivante, qui a rouvert au mois de mai après une fermeture de 8 mois suite au décès de la précédente gérante. "C’est nous qui faisons connaître les livres, c’est scandaleux qu’on ait des remises aussi faibles de la part des fournisseurs." Il faut ajouter à cela que les demandes de subventions sont longues et techniques.
Francois Charaud est la directrice de la librairie Passages (Lyon 2e), créée il y a 16 ans : "Le livre ne souffre pas de la crise. C’est un produit culturel dont les ventes restent stables. La France a le réseau le plus grand, nous avons la loi Lang sur le prix unique, ce qui peut d’ailleurs gêner certains, en empêchant de faire des marges. Nous sommes certes le secteur de la culture le moins aidé mais le discours sur la crise est à nuancer."
Sylvain Fourel parle ainsi du "paradoxe de la subvention" : "D’un côté, il y a la critique d’un métier sous perfusion; mais en même temps, on a besoin de ces aides. On ne fait pas de gros bénéfices avec le prix unique sur le livre ["loi Lang" du 10 août 1981], les libraires atteignent maximum 40% de marge par livre". Les subventions sont finalement relativement faibles, représentant environ 0,4% du chiffre d’affaires. Ces dispositifs sont surtout utiles pour les petits libraires, car le métier est loin d’être un ensemble homogène, et certains ont beaucoup plus de difficultés à s’en sortir ou même à se payer un salaire.
"Il est observé qu’au-dessus de 500 000 euros de CA, le commerce se porte plutôt bien même si la rentabilité est très réduite. En dessous, c’est plus difficile avec le montant des loyers, les charges, les frais de transport, ainsi que les offices "sauvages" (envoi forcé de nouveautés) qui déstabilisent une trésorerie déjà fragile", explique Vincent Chabault. C’est donc un véritable combat que mènent ces libraires passionnés, pour leur survie et la défense d’une certaine conception de la culture. Jusqu’à quand durera-t-il ?
Légende illustration de tête : Sylvain Fourel, co-président de l'association Libraires en Rhône-Alpes
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