Alors que la vidéo s’impose de plus en plus comme un mode d’information privilégié, et que des vidéastes, documentaristes, podcasteurs se saisissent des questions liées aux transitions vers un autre modèle de société, Nicolas et Felipe, deux amis ingénieurs de formation (qui préfèrent rester relativement anonymes “pour s’effacer derrière Imago et les vidéastes”) ont décidé de lancer un service gratuit d’hébergement de vidéos, Imago TV.
Agrégeant des contenus multimédias d’information critique, la plateforme lancée fin décembre entend se positionner “entre une sorte de Netflix de la transition et de Wikipédia de la vidéo”, admet Nicolas.
Comme un air de guérilla
L’idée de ce projet a émergé il y a maintenant deux ans. Dès les premières réflexions, les co-créateurs ont mis un point d’honneur à s’inscrire dans la filiation des engagements de l’informaticien et “hacktiviste” américain Aaron Swartz, mort en 2013, qui militait pour l’accès libre à l’information.
Dans son Manifeste de la guérilla pour le libre-accès celui-ci tranche net : “L’information, c’est le pouvoir. Mais comme pour tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le garder pour eux. Le patrimoine culturel et scientifique mondial, publié depuis plusieurs siècles dans les livres et les revues, est de plus en plus souvent numérisé puis verrouillé par une poignée d’entreprises privées.”
Partageant le constat du jeune guérillero du libre-accès sur le web, les créateurs d’Imago entendent décloisonner la connaissance, rendre largement accessibles et visibles les contenus vidéos de petits médias indépendants qui participent à une entreprise de pédagogie populaire. Le nom lui-même fait écho à cette volonté : l’imago, en biologie, correspond au stade final de l’évolution d’un animal ; ainsi le papillon est l’imago de la chenille, de même que la grenouille est celui du têtard. Pour sa part, “Imago TV veut être un outil pour accompagner les individus et son pendant, la société, vers la transition.”
Critiquer les modèles dominants, mettre en avant les alternatives
La plateforme héberge pour l’instant quelque 2000 vidéos qui vont du format très court des chaînes Youtube aux documentaires fleuves. Si les formats des vidéos sont extrêmement variés, la ligne éditoriale, elle, est bien marquée. Il s’agit d’agréger les contenus de “ vidéastes produisant une analyse critique et bienveillante des modèles dominants (sur les questions écologiques, énergétiques, spirituelles, économiques ou encore sociétales) [et] des vidéastes mettant en lumière les modèles alternatifs à ces modèles dominants.”, précisent les co-créateurs dans leur charte. Les vidéos sont alors regroupées sous huit thématiques : conscience, esprit critique, alternatives, santé, écologie, économie, connaissance et société.
Il est facile de se perdre dans cette foule de web-séries, documentaires, émissions, et podcasts, pour la plupart largement méconnus et non moins innovants sur la forme comme sur le fond. Les chaînes des vidéastes comme La Barbe, Partager C’est Sympa ou Le Biais Vert côtoient ainsi les enquêtes de Cash Investigation et les documentaires de Yann-Arthus Bertrand. Les podcasts de Présages ou de Sismique sur les risques d’effondrement de notre civilisation trouvent des éléments de réponse dans un documentaire comme “Solutions locales pour un désordre global” ou une émission comme “Ça commence par moi”. Des courts-métrages sont également disponibles pour les amateurs de fiction.
Le streaming, grand pollueur…
Selon Greenpeace, en 2015, 63% de la circulation mondiale de données sur internet était due au visionnement de vidéo en streaming, et il devrait atteindre 80% d’ici 2020. On pourrait reprocher alors à Imago TV de participer à ce gigantesque trafic qui, loin de l’image aérienne du cloud, a une dimension bien matérielle et extrêmement polluante.
Rapport Clicking Clean 2017 (capture d'écran)
En effet, toutes les données présentes sur internet doivent nécessairement être stockées quelque part, en l'occurrence dans d’énormes disques durs abrités dans des data centers. Ces derniers sont très énergivores puisqu’en plus de devoir alimenter les serveurs, il faut sans cesse les refroidir pour éviter la surchauffe. Si certains grands acteurs du numérique comme Facebook tentent de verdir leur image en utilisant majoritairement des énergies renouvelables (à hauteur de 67% pour Facebook, d’après le rapport Clicking Clean 2017 de Greenpeace), d’autres, comme Netflix, fonctionnent majoritairement aux énergies non-renouvelables (30% de charbon).
Pair-à-pair, protection des données privées et éco-responsabilité
Pourtant on ne saurait accuser la plateforme engagée de faire fi de ces problématiques. “Les sites internet classiques sont de véritables usines à gaz”, déplore Nicolas, “elles sont surchargées de publicités, de fenêtres pop-up, ou de modules qui permettent la récupération des données des utilisateurs. Nous avons optimisé l’architecture du code de sorte à se débarrasser de tout ce superflu et à avoir le moins de dépense énergétique liée au fonctionnement du site. ”
De plus, Imago souhaite amorcer à terme un basculement général des vidéos disponibles, aujourd’hui majoritairement sur Youtube, vers des serveurs en pair-à-pair comme Wetube ou Peertube. Peertube, tout comme Imago, est disponible en open-source et respecte la protection des données privées. Wetube quant à lui repose sur l’utilisation de data centers décentralisés de la marque LOLA, beaucoup moins énergivores que les immenses entrepôts à disques durs.
Un départ sur les chapeaux de roue
Lors de notre rencontre, Nicolas ne cache pas son enthousiasme. À peine deux semaines se sont écoulées depuis le lancement de la version bêta et le site compte déjà plus de 2 500 inscrits et 100 000 visiteurs en trois semaines. “Ça a vraiment été une énorme surprise, on ne s’attendait pas à un tel accueil, à une telle demande. Tous les jours nous recevons des messages de la part de réalisateurs, de vidéastes, d’utilisateurs qui nous sollicitent pour demander la diffusion de leurs contenus ou nous donner un coup de main. ”
Si la version béta d’Imago TV est déjà opérationnelle, certaines fonctionnalités doivent encore être développées, notamment en ce qui concerne les possibilités d’interactions et d’évaluation des contenus sur la plateforme qui devraient être installées d’ici quelques semaines. Bientôt, les utilisateurs pourront évaluer la fiabilité des informations données via la plateforme de vérification des faits “Captain Fact”, répondre à des quizz, ou encore participer à l’identification des sophismes, des passages les plus pertinents, etc.
Reste maintenant à ce que la jeune plateforme gagne en popularité et en contenus pour devenir un outil de premier plan pour la transition de la société… vers son imago !
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