Et si Internet était factice ? C’est la question que pose Max Read dans une chronique du New York Magazine.Dans ce texte, titré “À quel point Internet est-il ‘fake’ ? En grande partie, en réalité”, le journaliste émet une hypothèse pour le moins déconcertante : la grande majorité des contenus, des données et du trafic sur Internet seraient faux, simulant une activité humaine.
Sur Internet, moins de 60% du trafic serait humain, explique l’auteur. Le reste des Internautes seraient des bots, des logiciels opérant de manière autonome sur le réseau. Au point de brouiller la frontière entre Internautes humains et non-humains. En 2013, la moitié des usagers de Youtube étaient ainsi des bots se faisant passer pour des êtres humains, ce qui avait fait craindre aux employés de la multinationale l’avènement d’une ère où les systèmes de détection du trafic frauduleux jugeraient réelle l’activité des bots, et fausse celle des êtres humains.
Une mesure de l’audience manipulable
Au regard des faits, un tel phénomène d’inversion semble en effet possible, explique l’auteur. Vues, téléchargements, clics : toutes ces actions peuvent être répliquées par des machines afin de contrefaire la popularité réelle de vidéos, de sites ou d’applications. Sur Youtube, il serait ainsi possible d’acheter 5000 vues, émanant vraisemblablement de bots, pour 15$, soit l’équivalent de 13 euros. Ces exercices de simulation sont devenus une véritable industrie, comme en témoignent les images de “fermes à clics” dévoilées sur Internet : l’on peut y voir des centaines de smartphones rangées en rang d’oignons, “regardant” indéfiniment la même vidéo afin de faire augmenter son nombre de vues.
La possibilité de contrefaire ainsi la portée réelle d’un contenu n’est pas sans conséquence, en particulier pour les entreprises tirant des revenus publicitaires grâce au trafic généré sur leur site. En octobre dernier, rapporte Max Read, Facebook a ainsi été accusé par des publicitaires de surestimer le temps que ses utilisateurs passaient à regarder des vidéos publicitaires sur le site, et donc leur portée effective. Au cours des deux dernières années, Facebook aurait également publié des chiffres erronés sur le renvoi du trafic depuis Facebook vers des sites externes, la portée des publications, ou encore le nombre de “vues” des vidéos postées sur la plateforme. Ce qui interroge, là encore, sur la notion de “réel” sur Internet.
Extension du domaine du simulacre
“Tout ce qui semblait auparavant incontestablement réel semble maintenant légèrement faux; tout ce qui semblait auparavant légèrement faux a maintenant le pouvoir et la présence du réel”, déplore l’auteur. Et de multiplier les exemples: entre les vidéos complotistes pullulant sur Youtube, les trolls russes se faisant passer pour des soutiens de Donald Trump sur Facebook et le “deepfake”, une technique de synthèse permettant de falsifier le visage ou la voix d’une personne sur une vidéo grâce à l’intelligence artificielle, l’auteur s’inquiète de l’effondrement de toute distinction claire entre le réel et l’irréel sur Internet.
Capture d'écran du profil Instagram de Lil Miquela
L’exemple de Lil Miquela, une “influenceuse” suivie par plus d’un million et demi de personnes sur Instagram, est à ce titre particulièrement révélateur. Partageant régulièrement ses états d’âme, ses séances de shopping et ses sorties entre amis sur le réseau social entre deux selfies, ce mannequin américano-brésilien est en réalité un avatar, créé grâce à l’imagerie de synthèse par unestart-up californienne spécialisée en intelligence artificielle et en robotique. Un faux mannequin, donc, mais une influence bien réelle: là aussi, avertit l’auteur, la frontière entre le vrai et le faux s’émousse.
“Ce qui a vraiment disparu d’internet, ce n’est pas la réalité, c’est la confiance : le sentiment que les personnes et les choses que l’on y rencontre sont ce qu’elles prétendent être,” conclut l’auteur. Remédier à cet état de fait nécessite selon lui une réforme du modèle économique d’Internet qui a permis au mensonge, à la déformation et à la falsification de devenir lucratifs. Sans une telle réforme, estime-t-il, Internet risque de devenir une usine à “fakes”, et les revenus publicitaires qu’ils génèrent la seule réalité.
Soutenez Socialter
Socialter est un média indépendant et engagé qui dépend de ses lecteurs pour continuer à informer, analyser, interroger et à se pencher sur les idées nouvelles qui peinent à émerger dans le débat public. Pour nous soutenir et découvrir nos prochaines publications, n'hésitez pas à vous abonner !
S'abonnerFaire un don