Travaillant depuis plus de 10 ans sur des documentaires et reportages dans les médias, le cinéma indépendant te donne cette liberté d’aborder des sujets dont on parle peu. Comment est né le projet de ce second film ?
Tout d’abord par une prise de conscience personnelle. La permaculture et la low-tech étant deux milieux interconnectés, lors de la réalisation et la diffusion du premier film, le terme de low-tech revenait très souvent dans les discussions sans que je sache précisément ce que c’était. J’ai commencé à me documenter et j’ai découvert le travail du Low-tech Lab en me rendant à leur exposition à Paris. Puis s’en sont suivies de nombreuses lectures. De là est née l’envie de donner un coup d’accélérateur à cette démarche comme nous avions pu le faire avec la permaculture mais avec une volonté un peu différente, à savoir d’aller au-delà d’un film pédagogique. L’idée est de faire un film choral qui dresse le portrait de celles et ceux qui font la low-tech dans des domaines variés, ce qui m’a conduit à la rencontre des gens sur le terrain, dans l’agriculture, dans les ateliers de réparation, dans les écoles d’ingénieurs, dans le milieu de l’entreprenariat… J’y ai trouvé une vraie source d’inspiration pour raconter des histoires auxquelles le spectateur pouvait s’identifier.
On sent que la low-tech commence peu à peu à « sortir de l’ombre » – pour reprendre tes mots dans la vidéo de campagne – c’est ce qui t’a poussé à initier ce projet ?
Oui, ça me conforte dans le fait de faire un film sur ce sujet qui me paraît hyper important. Comme la permaculture, ces mouvements sont en réaction à un problème, et comme le problème est d’autant plus grave et visible aujourd’hui, ces solutions prennent naturellement de plus en plus d’importance dans le débat public. On a lancé le financement participatif du film il y a une dizaine de jours et on ne s’attendait pas à autant de soutien. Il y a énormément d’intérêt et de répondants, c’est un signal.
Avec ce film, il y a une volonté de porter le sujet hors des cercles militants ?
Oui, tout à fait, avec la volonté de démocratiser, diffuser, sensibiliser. Cela se traduit d’ailleurs dans le choix des personnages qui sont assez diversifiés par leur milieu et leur sensibilité afin de viser un public large qui puisse se reconnaître d’une manière ou d’une autre à travers eux. Il s’agit de rendre le film accessible pour le plus grand nombre, sans pour autant proposer un film trop naïf de vulgarisation scientifique. Ce n’est pas l’objet. On cherche plutôt à ouvrir d’autres possibles, d’autres imaginaires.
La low-tech est un concept assez vaste dont les contours sont encore relativement flous, comment t’y es-tu pris pour traiter le sujet ?
C’est en effet un champ très vaste qui s’applique à tous les domaines de la vie sociale. Il a donc fallu faire des choix. Si je devais résumer l’angle du film aujourd’hui, ça serait de dire que la low-tech propose un moyen de se réapproprier les savoirs et la technique. Même si ma réflexion va continuer à évoluer au fil du temps, car j’ai encore très peu tourné. C’est le chemin vers lequel je me dirige. Dans le monde dans lequel on vit, on a totalement abandonné nos savoir-faire à la machine. Sans vouloir être trop manichéen, qu’est-ce que la high-tech ? C’est l’automatisation, la robotisation, la numérisation… On se la prend de plein fouet avec la crise sanitaire. La low-tech c’est autre chose. Ce sont des valeurs de lien social, de partage du savoir. Une proposition pour retrouver la maîtrise de la technique. Et c’est ce que l’on va voir à travers les différents portraits, ce sont des gens qui se réapproprient un pouvoir d’agir.
Comment as-tu sélectionné les 8 portraits ?
J’ai choisi un panel assez large pour pouvoir présenter les différents champs d’action de la low-tech : énergie, habitat, agriculture, économie…Mais au-delà de ça, l’idée est aussi de montrer la diversité des sensibilités que l’on retrouve dans le monde de la low-tech.
Il y a des gens qui sont très radicaux dans leur approche, en recherche d’autonomie totale avec un refus d’adhérer à la société contemporaine. D’autres plus modérés qui défendent une transition douce, et une intégration de la low-tech dans le modèle économique et social actuel.
J’ai voulu rendre compte de la diversité de ces personnalités, de leurs parcours de vie, avec des gens qui n’ont pas le même caractère, pas le même âge, qui n’ont pas eu le même déclic. Cela permet de renforcer les possibilités de s’identifier aux personnages et d’aller un peu plus dans l’intime. Ce ne sont pas de grands chercheurs ou de grands spécialistes mais ils m’ont fasciné dans leur approche. C’est cette recherche de diversité et d’authenticité qui a guidé mes choix.
Que souhaites-tu dire de la low-tech à travers ce film ?
Montrer qu’en retrouvant une capacité d’action, on retrouve son rôle dans la société. On se sent plus épanoui, plus heureux. J’ai l’impression que les gens que je vais filmer ont retrouvé un certain équilibre, ils sont en accord avec leurs principes. Pour le commun des mortels, adopter la démarche low-tech, c’est se priver du confort moderne et sacrifier sa place un peu douillette dans la société. Pourtant, ces gens-là ne sont pas du tout démunis. Ils vivent de façon plus écologique, dans une autre forme de confort qui n’est pas matériel mais plutôt de vie, d’esprit. Il y a une forme de réequilibrage. Même si des failles persistent.
Des failles, c’est-à-dire ?
Ils ont tous, comme chacun de nous, ces petites contradictions avec lesquelles ils sont obligés de composer. Être cohérent à 100% n’est pas possible, à moins de vivre en dehors du monde. Par exemple, l’agriculteur que je suis est dans une démarche écologique mais continue à utiliser du plastique ou du pétrole pour conduire son tracteur. C’est aussi le cas du youtuber Barnabé Chaillot qui explique avec ironie qu’il développe des outils pour maîtriser au mieux son énergie au quotidien et finit par avouer qu’il utilise des plateformes en ligne pour commander certains composants électroniques qui sont imprimés et fabriqués en Chine. Ils aimeraient faire plus mais en réalité dans certains cas, on n’a pas vraiment le choix. Et tout n’est pas forcément à jeter dans la technologie contemporaine. La low-tech, c’est aussi cette capacité à s’adapter. Plus qu’un ensemble de techniques, il faut la voir comme une démarche.
Le tournage est prévu pour cet été, avez-vous l’intention de produire le film de façon low-tech ?
Bonne question ! On se l’est posée au cours de l’écriture du film, avec l’idée même de faire de l’équipe de tournage une sorte de neuvième personnage qui s’essaierait à la low-tech. Puis cela a été abandonné car cela représentait trop de contraintes en termes de réalisation et de production. Cependant, même s’il n’y a pas encore de démarche à proprement parler, on sera vigilant : utiliser peu de matériel, travailler en équipe réduite, minimiser les déplacements, faire attention à ce que l’on mange, où est-ce qu’on se loge…
Les films engagés semblent prendre une place de plus en plus importante ces dernières années, on l’a vu notamment avec le succès de Demain de Cyril Dion, doit-on y voir l’émergence d’un nouveau genre au cinéma ? Est-ce que ton film s’inscrit dans cette veine ?
Oui, carrément. C’est très visible, lorsqu’on parle avec les gens du métier, les producteurs, les diffuseurs, les distributeurs, ils sont aujourd’hui submergés par des propositions de ce genre. Demain a été un super catalyseur, un peu un emblème de cette nouvelle mouvance de films écolos, engagés. Des films à message qui ont l’objectif de faire changer les choses, du cinéma militant. Je trouve ça super intéressant, je suis tout à fait dans ce cadre-là. Néanmoins, je nourris aussi d’autres intentions. C’est là où j’ai envie de progresser par rapport au premier film en dépassant les barrières du militantisme. C’est-à-dire intégrer plus de monde dans le débat en faisant émerger des récits propres à l’écriture cinématographique.
Ces films redynamisent la question écologique auprès du grand public, le cinéma doit-il jouer ce rôle de moteur culturel dans la transition ?
Absolument. Ça serait un peu mon rêve le plus fou, que les auteurs, les scénaristes, les réalisateurs s’emparent de cette question, que le cinéma en tant que passeur d’idées puisse jouer son rôle dans la transformation du monde.
Malheureusement, cela semble encore difficile de combiner l’univers écologique avec les enjeux scénaristiques. On a soit le cinéma hollywoodien avec des visions d’effondrement, des univers apocalyptiques, soit des documentaires écolos engagés mais qui n’ont pas la même force de frappe. Mais qu’est-ce qu’on fait entre ces deux formes là ? C’est tout l’enjeu et j’ai envie de tendre vers ça. Il y a la possibilité de créer des scénarios pour faire rimer histoire et écologie afin d’embarquer véritablement les spectateurs tout en ayant des impacts très forts.
Pourquoi ne pas avoir choisi d’écrire une fiction alors ?
Ce qui m’intéresse, c’est parler du réel, traiter des faits de société. Mais c’est marrant car la première fois que j’ai entendu parler de low-tech, j’ai pensé au monde de la SF. Cela renvoie à plein de choses dans la littérature et le cinéma où l’on décrit souvent un monde ultra high-tech et autoritaire qui a totalement vrillé avec la gentille communauté qui a réussi à survivre, et s’affranchir de ça. La low-tech pourrait très bien s’inscrire dans de ce genre de fictions en imaginant des futurs où elle aurait toute sa place mais sans être la gentille petite alternative.
De ton côté, qu’est-ce que tu attends de la sortie du film ?
Rencontrer le public. En espérant que les salles seront ouvertes ! J’avais énormément apprécié présenter le premier film en salle avec la possibilité de mener des débats. Cela lui a donné une âme supplémentaire. Il a permis à des gens de s’exprimer, de se parler, de se rencontrer. C’est hyper puissant ! C’est aussi la force du cinéma grâce à la salle en tant qu’arène politique. Il y a eu de vrais espaces de discussions avec des échanges qui pouvaient durer une heure, voire deux heures. J’aimerais reproduire ça avec la low-tech.
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