Sur la surface lisse du marais, la pirogue tangue et vacille. Déséquilibrées par les cartables encombrants, éblouies par les rayons roses de l’aube naissante, deux écolières s’appuient l’une à l’autre pour prendre place sur le bateau.
D’un ample mouvement de sa perche de bambou, leur grande sœur, dressée sur la poupe, accompagne le glissement de l’esquif. Il leur faudra près d’une heure pour traverser l’enchevêtrement de canaux qui composent les marais de Mésopotamie et rejoindre l’école située un peu plus loin sur les berges de l’Euphrate, tout au sud de l’Irak. Depuis la rive craquelée de son îlot, Oum Rathy, quarante ans à peine, drapée d’un voile noir, suit ses filles du regard. « Nous sommes probablement l’avant-dernière génération à vivre ici », murmure-t-elle fébrilement.
Article de notre n°68 « Le grand complot écolo », disponible en kiosque, en librairies et sur notre boutique.

Soudain, une complainte singulière s’élève dans son dos. Le col d’un buffle d’eau coincé sous sa main calleuse, le mari d’Oum Rathy entonne une mélodie gutturale, c’est le chant des éleveurs qui annonce l’heure de la traite : le langage du peuple maadan et de ses bêtes. Ils étaient 400 000 habitants dans les années 1980, ils ne sont plus qu’entre 20 et 40 000 Maadans, selon les estimations, à survivre dans des abris lacustres faits de roseaux enlacés, les mudhifs, construits selon les coutumes...