Violaine Limonier n’est pas peu fière de son lumineux 50 mètres carrés « bien agencé et orienté sud » qu’elle habite depuis deux ans au cœur de la résidence Solatium, à Vandœuvre-lès-Nancy, commune de la Métropole du Grand Nancy. À première vue, le petit immeuble au toit plat et aux façades claires ponctuées de balcons n’a rien d’exceptionnel. Son architecture sobre abrite 14 logements sociaux et 25 studios de la pension de famille Myosotis, destinée à des personnes en difficulté. L’ensemble se fond dans le décor d’un quartier « calme et agréable », tout proche d’un groupe scolaire.
Retrouvez cet article dans notre numéro 50 « À quoi devons-nous renoncer ? », disponible sur notre site.
Mais il y a un détail... qui n’en est pas un : Violaine, tout comme ses voisins, ne chauffe pas son appartement. Pas directement du moins. Chez cette retraitée, ancienne agente de fabrication automobile, on ne trouve ni convecteur, ni cheminée, ni poêle. « On gagne de la place pour meubler ! », relève la sexagénaire décidée, qui s’est débarrassée il y a quelques mois du petit radiateur d’appoint, désormais inutile, qu’elle utilisait dans son précédent logement. Seul indice de la douceur ambiante : l’un des murs est percé d’une petite grille d’environ 10 centimètres sur 15, « par là où ça souffle ».
La température est régulée par un système de ventilation centrale à double flux qui agit comme un « poumon », explique Rolf Matz, architecte des lieux. En rejetant l’air vicié, ce dispositif récupère les calories dégagées par l’expulsion de l’air pour réchauffer l’atmosphère intérieure. Résultat, « il fait bon l’hiver et plutôt frais l’été », se félicite Violaine.
Il fait bon être écolo
Les résidences Solatium et Myosotis sont des bâtiments « passifs » : leur très bonne isolation limite à l’extrême les pertes d’énergie, et donc les besoins en chauffage. La définition est précise : l’obtention du label « passif » est conditionnée, entre autres, par une consommation inférieure à 15 kWh/m²/an pour le chauffage. Soit entre six et neuf fois moins qu’une construction classique… « C’est l’avenir ! », s’enthousiasme Violaine, qui apprécie aussi les répercussions de ces économies d’énergie sur son loyer et ses charges – 460 euros par mois, chauffage compris. « L’écologie, ce n’est pas qu’une affaire de bourgeois, c’est même au contraire surtout une affaire de gens qui ont peu de moyens. Moins dépenser pour se chauffer, ça compte », confirme Peggy Bottollier, directrice du pôle Logement et insertion de l’association Accueil et réinsertion sociale, qui gère les studios de la résidence Myosotis.
Le concept de construction « passive » a émergé dans les années 1970 en Allemagne et dans quelques pays nordiques tels que la Suède : encouragés par des hivers rigoureux, les architectes et ingénieurs y expérimentent des habitats économes en chauffage. Dans les années 2000, alors que la culture d’économie d’énergie est encore balbutiante en France, Rolf Matz, fraîchement diplômé, s’enthousiasme pour les travaux de l’Institut de la maison passive (« Passivhaus ») à Darmstadt, près de Francfort. Germanophone par son père, il y suit une formation, qu’il met en pratique de retour en France, non sans rencontrer quelques obstacles.
À Nancy, il livre en 2010 un petit ensemble de 8 logements sociaux, l’un des premiers immeubles en France à obtenir le label pionnier « Passivhaus », équivalent de l’actuel label français « BePas » (Bâtiment à énergie passive).« Il a été très long de convaincre le bailleur social, qui ne concevait pas d’avoir un bâtiment sans chauffage et qui craignait pour le confort des habitants », se souvient Rolf Matz. Quelques années plus tard, la réalisation des résidences Solatium et Myosotis rencontre moins de réticence. Mais pour atteindre les standards du « passif », l’étanchéité des toitures, des murs et des sols est nécessaire.
Les ponts thermiques, ces fuites de l’énergie du chaud vers le froid, doivent être supprimés ou fortement réduits. « Il faut laisser entrer l’énergie de l’extérieur, mais aussi limiter les pertes d’énergie – la meilleure fenêtre crée six à sept fois plus de déperdition qu’un mur. C’est une question d’équilibre, c’est ça qui est passionnant », souligne l’architecte.
À Vandœuvre-lès-Nancy, cela se traduit par des murs très épais et un patio central doté d’une verrière de près de 20 mètres carrés de vitrage qui éclaire le cœur du bâtiment, tout en offrant un complément de chaleur. L’été, des brise-soleil installés sur les fenêtres permettent de réduire l’impact du rayonnement solaire, précise Violaine Limonier.
Les coûts cachés de la sobriété
Cette performance énergétique ne va pas sans contrepartie. Le budget de construction est de 10 à 20 % plus élevé qu’un bâtiment classique… Un surcoût qui provient en grande partie de « l’enveloppe » du bâtiment, plus onéreuse du fait de l’exigence de quasi-étanchéité, explique Rolf Matz. De quoi susciter des frilosités. Pour le bailleur social Meurthe & Moselle Habitat (mmH) qui assure la maîtrise d’œuvre des résidences Solatium et Myosotis, l’engagement dans ce projet relève d’un choix environnemental et social : au-delà de la réalisation de Rolf Matz, l’objectif est de développer les constructions passives sur un tiers des nouvelles opérations, explique Audrey Dony, directrice générale adjointe de mmH.
Mais si l’ambition est de limiter la dépense énergétique, le bilan carbone d’un bâtiment passif n’est pas toujours exemplaire. La performance de l’enveloppe ne dit rien des qualités environnementales des matériaux qui la composent. Ainsi, l’immeuble où habite Violaine Limonier est isolé avec du polystyrène, un plastique donc, issu de la pétrochimie. C’est là l’une des critiques adressées aux bâtiments labellisés « passifs » : « Ils peuvent être construits avec des matériaux déplorables, cela relève de la responsabilité de chaque maître d’ouvrage, de chaque concepteur. Bien sûr, cela dépend aussi de chaque budget, il faut tenir compte de la réalité », regrette Milena Karanesheva, cofondatrice de l’agence Karawitz, qui a livré de nombreux bâtiments passifs.
Mais l’architecte pointe la difficulté d’arbitrer, dans une équation qui compte plusieurs inconnues. Vaut-il mieux privilégier des qualités « passives » ou des matériaux biosourcés et locaux ? « Calculer le comportement technique d’un bâtiment est déjà difficile, mais dresser un véritable bilan carbone est cent fois plus complexe. C’est extrêmement variable en fonction de la durée et des bases de données choisies. Les limites de l’exercice sont là », relève-t-elle.
La frugalité dans la sobriété
Autre écueil dénoncé par la profession : la technicité de la démarche passive. « Préempté par des personnes qui établissent des certifications, des labels, le terme “passif” a dérivé vers un type de bâtiments avec des systèmes de ventilation mécanique assez complexes, qui nécessitent beaucoup de tuyauterie et des filtres devant être entretenus ou changés par des professionnels », pointe pour sa part l’architecte Emmanuelle Patte, membre du conseil d’administration de l’ICEB, Institut pour la conception écoresponsable du bâti.
Avec son agence Méandre etc’, elle a livré il y a quelques années à Montreuil (Seine-Saint-Denis) un groupe scolaire passif doté d’une ventilation double flux. « Mais plus ça va, plus je milite pour des choses plus frugales, plus simples, plus low-tech », défend-elle. À Montfermeil (Seine-Saint-Denis), Méandre etc’ planche actuellement sur une école passive, en bois, paille et terre crue locale, qui prouve qu’un bâtiment passif peut être frugal. La terre crue a une réelle étanchéité à l’air, mais elle reste poreuse à la vapeur d’eau, ce qui permet d’absorber l’humidité ambiante.
Comme les autres matériaux bio- et géosourcés, elle atténue l’aspect « hermétique » des constructions passives, tout en améliorant leur bilan carbone. Mais son usage représente un surcoût qui n’est pas toujours accepté. Les finances d’un projet obligent à des choix, des « choix de société », glisse Emmanuelle Patte. « On aimerait tous des projets idéaux, bien financés. Mais je préfère un bâtiment qui répond à la précarité énergétique, pour des personnes à faibles revenus, à une construction en terre crue qui nécessite 60 euros de chauffage mensuel. Ma priorité, c’est l’humain », assume Rolf Matz.
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