Jeune collaborateur à la mairie de Paris, Jean Massiet veut rendre la politique sexy. Chaque semaine, il commente en direct sur YouTube les séances de questions d'actualité au gouvernement (QAG) de l'Assemblée nationale. De quoi plaire aux passionnés de politique autant qu'aux streamers de jeu vidéo. Le numérique peut-il vraiment renouveler notre façon de vivre la politique ? Interview.
Tous les mardis et mercredis, 15h tapantes, il est au rendez-vous devant son écran, manches de chemise retroussées, casque sur les oreilles, micro au taquet. Lorsque son visage apparaît sur YouTube, c’est parti pour une heure de streaming en direct.
Malgré l’allure, Jean Massiet n’est pas un commentateur sportif. Il s’attaque à un exercice plus corsé : les questions d’actualité au gouvernement (QAG) de l’Assemblée nationale. Deux fois par semaine, les députés ont droit à 2 minutes chacun pour interroger leurs ministres. Parfois, cela se transforme en véritable cirque politicien. Et bien souvent, on finit par zapper.
L’ambition de Jean Massiet avec Accropolis, c’est de rendre ce spectacle intéressant en apportant des informations supplémentaires à son public : lorsqu’un député prend la parole, son âge, son groupe parlementaire et son parcours s’affichent, ainsi qu’un graphique montrant la fréquence de ses participations au cours des 12 derniers mois. Quelques données utiles qui permettent de mieux situer ces hommes et femmes qui nous sont souvent inconnus. Sans compter les anecdotes avisées que Jean Massiet confie à son auditoire sur leur passé ou la couleur de leur cravate.
Véritable projet citoyen, Accropolis a un atout que LCP n’a pas : l’interaction permanente avec les spectateurs, qui peuvent poser des questions ou exprimer leur opinion grâce à un chat sur le côté de l’écran. Une pratique inspirée des streamers de jeu vidéo sur Twitch, mais qui revêt là une dimension pédagogique assumée par le jeune collaborateur politique : “Je m’adresse à une génération qui est sur les réseaux sociaux, qui regarde des vidéos YouTube. J’aimerais qu’Accropolis soit la porte d’entrée de ces jeunes dans la politique, qu’ils aillent ensuite voler de leurs propres ailes.”
À l’âge de 28 ans, Jean Massiet s’apprête à embrasser le chômage dans quelques semaines avec une ambition : se consacrer entièrement à Accropolis. Il aimerait en faire une plateforme démocratique présentant toute une grille de programmes hebdomadaires. Socialter l’a rencontré pour parler Nuit Debout, présidentielles et renouveau politique.
Questions d’actualité à Jean Massiet
À force de les observer toutes les semaines à l’Assemblée à travers ton écran, quel regard poses-tu sur ces hommes et femmes politiques ?
Jean Massiet : Je les trouve terriblement humains. D’abord parce que je les connais de plus en plus : je travaille depuis déjà cinq ans dans le milieu politique, je sais comment ils fonctionnent et je commence à voir le fossé qui existe entre la perception de l’opinion publique et ce qu’ils sont vraiment. Ce sont des êtres humains, avec beaucoup de qualités et d’énormes défauts. Ils ont besoin d’une énergie extraordinaire parce qu’ils travaillent comme des chiens. Derrière ça, ils ont un orgueil surdimensionné. Au début, ça m’énervait. Avec le temps, je comprends aussi : il faut avoir un cuir tanné pour oser se présenter devant la population à une élection, ou à une réunion publique avec 300 personnes hostiles en face. Il faut une confiance en soi et une force de conviction absolument colossales, qui se transforment très rapidement en orgueil.
Les députés lors des QAG ressemblent à une grande classe dissipée. Est-ce une caractéristique française ?
Effectivement, il y a un truc franco-français : on est un peuple qui manifeste, qui râle, qui vit la politique dans le conflit et le rapport de force. On veut voir du sang ! Donc on déplore ce spectacle autant qu’on l’adore. Par ailleurs, une assemblée démocratiquement élue, c’est une forme de théâtre (au sens de représentation) de la diversité politique du pays. Pourquoi on les élit, si ce n’est pour s’engueuler à notre place ? Quand il y a des milliers de personnes dans la rue qui protestent, ça ne me gêne pas qu’il y ait quelques députés dans l’hémicycle qui se fassent le relais de cette colère, y compris de manière un peu énergique s’il le faut. Ça donne une mauvaise image, mais on voulait qu’ils nous représentent : ces mecs-là nous représentent.
Les manifestations contre la loi Travail et le mouvement Nuit Debout témoignent-ils d’une nouvelle sensibilité politique des jeunes ?
C’est un signe de bonne santé politique et surtout de confiance en l’avenir. Mais ce n’est pas nouveau : les jeunes ont toujours été intéressés par la chose publique. En revanche, il y a effectivement de la nouveauté dans leur manière d’appréhender la politique. Parce qu’ils ne se reconnaissent plus dans les structures traditionnelles, les jeunes innovent. J’ai été bluffé par ce que j’ai vu le 31 mars place de la République : une post-manifestation où un cortège décide de s’arrêter sur une place et d’y rester toute la nuit ! Je n’avais jamais vu une telle expérience collective autogérée et je trouve ça extraordinaire. Quoi qu’on pense de la loi El Khomri, il faut reconnaître que quelque chose de nouveau est en train de se passer.
Tu encouragerais plutôt les jeunes à améliorer le système existant ou bien à tout renverser ?
Je ne souhaite pas inciter à quoi que ce soit. Le but fondamental d’Accropolis, c’est que les gens se fassent leur propre opinion, qu’ils la confrontent à celle des autres, pour la développer et se l’approprier. Je suis très attaché à l’idée que toute personne a une opinion. Elle est directement liée à leur parcours de vie, à leurs lectures, à leurs rencontres, à leur lieu de naissance, à leur famille. Certains ne prennent pas le temps de réfléchir à la politique, ou sont réticents à aborder le sujet en collectivité, mais ce n’est pas grave : apprenez à vous connaître. En fait, je veux aider les gens à trouver leur propre réponse à ta question. C’est probablement aussi lié au fait que moi-même je n’en ai pas. Je suis un éternel dubitatif. La politique n’est pas un travail de vérité, mais de volonté.
Comment peut-on être un bon représentant politique d’après toi ?
On ne peut pas. Ce n’est pas naturel de représenter la vie d’autrui. La démocratie représentative est une vue de l’esprit. Aujourd’hui, les institutions sont dépassées. Il y a un problème de non-renouvellement des élites politiques dû au cumul des mandats, qui est un effet pervers de la loi de décentralisation de 1982. En parallèle, l’opinion publique s’est affirmée – c’est ce qui fait que le conflit est violent et qu’il y a une déconnexion flagrante. Elle commence à être exigeante vis-à-vis d’elle-même, de ses représentants, de l’État, etc. Et le numérique bouscule profondément les structures traditionnelles. Tous ces phénomènes simultanés font que la démocratie va nécessairement, pour le meilleur et pour le pire, évoluer vers une forme beaucoup plus participative.
Quel rôle doivent jouer les hommes politiques pour mieux se faire comprendre par les citoyens ?
Ils doivent apprendre à être sincères. Internet sait tout et se souvient de tout. Le seul conseil que j’adresse à un jeune qui se lancerait aujourd’hui en politique, c’est “ne mens pas”. La sincérité, l’honnêteté et la transparence sont les clefs de la réussite en politique. Les politiques gagneraient à parfois dire “je ne sais pas”, “j’ai fait une connerie” ou “ce matin je ne suis pas réveillé” ; à rappeler qu’ils sont humains. Arrêtez de vous créer des personnages d’élus à moitié super-héros. Faites amende honorable, reconnaissez que vous êtes faillibles, qu’on l’est tous. N’hésitez pas à verser des larmes. Je suis certain que c’est comme ça qu’ils se rapprocheront de ceux qui les écoutent.
À l’inverse, que peuvent faire les citoyens pour mieux s’informer ?
Les citoyens doivent s’impliquer. S’ils se bornent à glisser un bulletin dans l’urne une fois tous les cinq ans, la démocratie n’ira pas mieux. On ne peut pas tout attendre de nos représentants. À un moment, c’est aussi à nous, cette grande association de Français qui s’appelle la République, d’adhérer à des syndicats ou des partis politiques, de participer à des réunions publiques, d’aller à des meetings. Faites-vous violence ! Vous en sortirez grandis dans votre propre compréhension des enjeux. L’implication, c’est une vraie école de la vie. De la même manière que je trouve ça dommage que des députés soient élus sans avoir jamais mis les pieds dans le secteur privé, c’est dommage que des citoyens passent leur vie entière sans jamais prendre un poil de responsabilité dans un projet collectif.
Comment envisages-tu les présidentielles ? Civic tech et nouveaux mouvements citoyens vont-ils percer ou leur heure n’est-elle pas encore venue ?
Il est assez intéressant de constater qu’à chaque dernière présidentielle, le numérique a apporté quelque chose de nouveau dans les médias. En 2007, c’était les blogs, avec des billets d’analyses et des tribunes. 2012, c’était l’élection Twitter. Je suis persuadé que 2017 va être l’élection YouTube, streaming, participation directe et création de contenus. Si tu ajoutes à ça ce qui se passe avec Nuit Debout, cette présidentielle ne va pas être comme les autres, elle peut être explosive. J’ai hâte de suivre ça avec Accropolis.
Si tu pouvais poser une question à la prochaine séance de QAG, ça serait quoi ?
“Monsieur le Premier ministre, quand jouerez-vous le jeu de la transparence jusqu’au bout, y compris au sein même de l’appareil gouvernemental, en diffusant en direct sur Internet les réunions du conseil des ministres du mercredi matin ?”
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