À première vue, ce ne sont que 6 caisses colorées. Mais en une vingtaine de minutes, cette bibliothèque en kit se déploie pour se transformer alors en un espace d’apprentissage et de création de 100 m². À l'intérieur, on trouve des livres évidemment, mais surtout des dizaines de tablettes tactiles et de liseuses, des ordinateurs, des ressources pédagogiques multimédia, des caméras, des jeux de société, une scène de théâtre, un home cinéma… Le tout robuste et étanche, transportable en toutes conditions, connecté et autonome en énergie.
Cette bibliothèque du XXIe siècle s'appelle l'Ideas Box. C’est le fruit de la coopération entre le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), le designer Philippe Starck et l’ONG Bibliothèques sans frontières.
À l’origine de l’Ideas Box, il y a un nombre : 17, soit le nombre d'années qu'un réfugié passe en moyenne dans un camp, souvent sans possibilité d’en sortir. “On parle beaucoup des besoins élémentaires, mais une fois que ceux-ci sont couverts, les gens ont besoin d'autre chose. La première chose que l'on voit dans un camp de déplacés, c'est l'ennui”, explique Jérémy Lachal, co-fondateur et directeur de Bibliothèques sans frontières.
L'idée est née en Haïti, lorsqu'au lendemain du séisme de 2010, il est demandé à l’ONG d'installer une bibliothèque sous la tente d'un camp de déplacés. Jérémy Lachal se donne alors une mission : concevoir un nouvel outil qui permette de renforcer la capacité des organisations humanitaires à mieux intégrer l’apprentissage, l’information et la création à leurs interventions auprès des personnes réfugiées et déplacées.
Un incubateur d’idées pour libérer sa créativité
Réintégrer l'intellectuel dans l'aide humanitaire, certes. Mais pour Jérémy Lachal, il est hors de question de se contenter d’envoyer des livres. L'enjeu est tout autre : la bibliothèque version Ideas Box est un “incubateur d’idées, une fenêtre sur le monde”. Elle est un lieu où l'on apprend, où l'on reconnecte avec ses proches et avec le reste de la société, où l'on s'informe. Elle est aussi un lieu de rassemblement, qui permet à des communautés de recréer du lien et de l'action commune. Enfin, elle est un lieu où l'on crée et entreprend, par des ateliers d’écriture de blogs, de théâtre ou de cinéma.
D'anciens enfants soldats au Burundi ont utilisé les caméras de l'Ideas Box pour réaliser un film de zombies. “Complètement effrayant, mais brillamment réalisé. Il a permis à ces enfants d'exprimer leur traumatisme, en libérant leur créativité”, explique Jérémy Lachal.
Deux ans après leur installation, les quatre Ideas Box installées dans ce camp sont chaque jour fréquentées par plus de 5000 personnes, et vingt autres ont été déployées sur la route des migrants : au Burundi, en Éthiopie, en Jordanie, mais aussi en Grèce, en Allemagne et dans le camp de Grande-Synthe dans le nord de la France.
Un levier de développement pour toutes les populations isolées
Mais les ambitions de l’Ideas Box vont plus loin. Jérémy Lachal l'explique : “Nous avons commencé par les populations déplacées, puis avons réalisé que l'Ideas Box peut en fait devenir un levier de développement pour n'importe quelle population manquant d'infrastructures pour apprendre, s'informer et créer.” C'est ainsi que cette bibliothèque mobile a été déployée dans une communauté aborigène en Australie, dans un quartier défavorisé de Détroit, dans le Bronx à New York, puis à Sarcelles, à Marseille et en Ile-et-Vilaine. Vingt kits supplémentaires sont prêts à être envoyés dans les deux prochains mois.
Jérémy Lachal, résolument tourné vers l'entrepreneuriat social, réfléchit même à créer un système de micro-franchise qui lui permettrait de commercialiser les Ideas Box à des micro-entrepreneurs locaux, dont le premier objectif serait toujours l’impact social, tout en faisant des bibliothèques des lieux générateurs de revenus. Alors, qui a dit que la bibliothèque était morte à l'heure du numérique ?
Anaïs Petit
Ashoka
En 2015, Jérémy Lachal a été sélectionné parmi les entrepreneurs sociaux du réseau Ashoka, qui rassemble les pionniers de l’innovation sociale au sein d’un réseau mondial de plus de 3000 Fellows.
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