Fête et militantisme

La bamboche, c'est politique !

Lithographie représentant des travailleurs  fêtant la Saint-Lundi dans une taverne de Vienne (Autriche)
Lithographie représentant des travailleurs fêtant la Saint-Lundi dans une taverne de Vienne (Autriche) Joseph Lanzedelly der Ältere, 1818.

Le 20 octobre 2020, alors que le gouvernement français peaufine ses éléments de langage pour faire accepter et respecter le tout nouveau couvre-feu entré en application trois jours plus tôt, la formule tranchante d’un préfet de région marque les esprits : « La bamboche, c’est terminé ! », assène le second couteau. Les teufeurs sont prévenus ; la férule est brandie. Quelques mois plus tard, alors que les beaux jours reviennent et que le couvre-feu a été doublé d’une défense de se rassembler au-delà de 6 personnes en extérieur, une foule de Parisiens brave l’interdit et s’agglutine spontanément autour d’un sound system installé dans l’herbe du parc des Buttes-Chaumont. On danse, on rit, on s’embrasse. Un sardonique slogan éclate alors, « tout le monde s’en bat les couilles ! », scandent les fêtards, témoignant d’une lassitude un brin revancharde : celle de voir leur vie sociale amputée depuis de longues semaines, atrophiée autour des deux seules activités autorisées – travailler et consommer. La pandémie de Covid-19 a rappelé que la fête est de nature politique. Elle est ce moment où le plaisir partagé abolit toute idée de rendement et de calcul utilitariste, où l’attroupement des corps crée de l’inattendu et des aspérités dans un monde rectiligne, où l’allégresse arrachée permet un instant de rêver la société autre qu’elle n’est, où l’euphorie commune fonde le sentiment d’unité et d’identité. Jean-Jacques Rousseau l’avait, du reste, très bien compris, lorsqu’il appelait à faire jaillir des kermesses la concorde et l’amitié collective : « Plantez au milieu d’une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez une fête, écrivait le philosophe. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes ; faites que chacun se voie et s’aime dans les autres, afin que tous en soient mieux unis. » Puissamment fédératrice et potentiellement subversive, la fête s’est naturellement vu attribuer des rôles politiques mouvants au cours des siècles – instrumentalisation parfois maniée avec une certaine lourdeur.

Fêtes révolutionnaires : prière de s’amuser

« Nulle fête n’excita jamais une si douce attente, nulle ne fut jamais célébrée avec tant de joie. La guillotine disparut le 19 prairial au soir. On crut que c’était pour toujours », relate l’historien de la Révolution française Jules Michelet (1798-1874) pour décrire la liesse produite par la fête de l’Être suprême et de la Nature, qui se tient le 8 juin 1794. Robespierre s’y attribue le premier rôle : c’est lui qui marche en tête de la foule et qui incendie, dans le bassin des Tuileries, des allégories de l’Athéisme, de l’Égoïsme et du Néant ; une fois consumées, celles-ci dévoilent une unique statue représentant la Sagesse. La fête a été abondamment moquée comme l’ultime extravagance de l’Incorruptible avant sa chute – qui interviendra quelques semaines plus tard –, au point parfois de passer sous silence son succès populaire et les buts politiques qui l’ont motivé : établir un gouvernement démo­cratique et une république sociale cimentés par la vertu, et transmettre aux citoyens, par cette célébration, l’amour de la patrie et de ses lois.

Article issu de notre dossier « La joie malgré les défaites », disponible en kiosques en juin-juillet et sur notre boutique.

 

Dans une allocution donnée la même année à la Convention nationale, Robespierre proclame la tenue de nombreuses autres fêtes civiques (de la Vérité, de l’Amitié, du Bonheur,...

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