« Avant le confinement, j’avais minimum trois rendez-vous par semaine à l’hôpital, voire parfois tous les deux jours, en période de crise », confie Noémie, secrétaire général d'Handidactique et handicapée moteur depuis sa naissance. Atteinte d’une maladie génétique rare qui affecte son système respiratoire, elle est en temps normal suivie régulièrement par un kinésithérapeuthe. Aujourd’hui, son suivi est interrompu : les cabinets ont fermé, et les hôpitaux se concentrent sur la gestion de l’épidémie. Seules les personnes dont l’état est critique bénéficient d’un suivi à domicile. Pour les autres, c’est l’attente, dans l’incertitude et l’angoisse, jusqu'à la reprise du suivi.
D’après Pascal Jacob, directeur du baromètre Handifaction, un questionnaire en ligne destiné aux personnes en situation de handicap : « Avant la crise, 41 % des personnes handicapées allaient à l’hôpital pour recevoir des soins. Aujourd’hui, depuis l’épidémie, ce chiffre est passé à 20 %. » Les résultats du questionnaire révèlent que 44 % des personnes en situation de handicap (tous handicaps confondus) n’ont pas eu accès à leurs soins de janvier jusqu’à aujourd’hui : « Le plus grave, c’est qu’avant le confinement, l’accès au soin des personnes en milieu ordinaire, c’est-à-dire dans leur domicile ou chez des proches, était déjà bas, à 56 %. Depuis, ce chiffre est passé à 40 %. »
Parmi eux, 27 % vivent seuls et ont besoin d’une aide à domicile quand l’autonomie n’est pas possible. « Les soins respiratoires, de rééducation, d'orthophonie, ont été interrompus. Pour ces patients, on est arrivé à un point zéro. Les gestes barrières ont rendu l’accès au soin encore plus difficile », souligne le directeur d’Handifaction.
Des mesures de sécurité pas toujours respectées
Les personnes en situation de handicap sont considérées pour la plupart comme des personnes « à risque » face au coronavirus. Pour celles qui vivent seules, les contacts avec l’extérieur sont strictement limités. Les interactions avec les auxiliaires de vie, qui effectuent les tâches du quotidien, sont néanmoins nécessaires. Pour Noémie et Aurélie (handicapée moteur elle aussi), le confinement est mal vécu, comme en témoigne cette dernière : « Les gestes barrières ont été mal appliqués au début par les auxiliaires. Certaines avaient déjà leur masque et leurs gants à leur arrivée dans notre domicile, ou ne se lavaient pas les mains après avoir touché l’interphone. J’ai dû refuser les services de deux intervenantes qui s’opposaient au port de masques et de gants. »
De même pour Noémie, qui remarque le manque de formation d’une partie des aidants : « Une jeune fille est arrivée et m’a touchée sans mon consentement, sans porter de gants ni de masque. » Une faute professionnelle qui révèle les failles du service prestataire : pour devenir aide à domicile, aucun diplôme n’est requis, car le diplôme d’auxiliaire de vie n’est pas obligatoire. Les services doivent aussi gérer les arrêts maladies des auxiliaires alors que la demande qui ne se tarit pas : « La chute des services à domicile est énorme : sur les 50 % des personnes handicapées qui vivent en milieu ordinaire – c’est-à-dire, en dehors des centres sociaux – 20 % sont touchées par le manque d’aide », déclare le directeur d’Handifaction.
Les services sont maintenus, mais l’organisation et le planning sont quant à eux plus serrés, d’après Aurélie : « Le temps de présence des auxiliaires de vie pour nous aider dans les tâches quotidiennes est passé de 2h à 1h30, voire 1h15. » Le nécessaire est donc réalisé dans un temps record, à la fois pour palier à la baisse des effectifs que pour soulager le quotidien des auxiliaires de vie, qui continuent à travailler chaque jour malgré la crise, le manque d’approvisionnement en matériel, et leurs nombreuses interactions qui les placent en première ligne de l’épidémie.
Les difficultés du quotidien
Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là pour les personnes en situation de handicap. Pour Aurélie, le moindre incident devient paralysant : « Il y a quelques jours un des pneus de mon fauteuil a crevé et, puisque tous les magasins de réparation ont fermé, je me suis demandée comment j’allais faire. C’est après plusieurs demandes auprès de différents organismes qu’un réparateur est venu à mon domicile réparer ma roue. »
En plus de ces incidents, Aurélie et son conjoint, lui aussi handicapé moteur et malvoyant, se demandent comment ils pourront se déplacer après le confinement « sans le service d’assistance de la SNCF », même si pour l’instant rien ne presse, car le couple, en télétravail depuis le début du confinement, s’estime « ne pas être dans la situation la plus à plaindre ».
Selon le handicap, les réalités sont bien différentes. Certaines personnes sont confinées dans leur chambre jour et nuit dans des Maisons d’Accueil Spécialisées (MAS) ou des Foyers d’accueil médicalisés (FAM) restés ouverts. Pour les personnes handicapées mentales, certaines sont rentrées chez leur famille, d’autres dans les foyers, comme l’explique Marylène, la mère de Vanessa atteinte de trisomie 21 : « Lorsque le gouvernement a annoncé les mesures de confinement, nous avons dû décider en quelques heures où Vanessa allait passer son confinement, si elle allait rester au foyer ou non. »
Finalement, Marylène a fait le choix du foyer où sa fille réside habituellement. Au Centre d’Accueil et d'activités de Le Loroux-Bottereau, près de Nantes, les personnes en situation de handicap mental ne sont pas isolées, mais le confinement reste difficile à mettre en place. « Pour l’instant, ils sont treize, partagés en deux groupes. Ils mangent dans la salle à manger et il y a toujours quelques activités, même si le rythme a ralenti. »
Les périphéries des villes, plus à risques que les milieux ruraux ?
Alors que l’on aurait pu penser que l’isolement serait plus répandu chez les personnes handicapées vivant en milieux ruraux, il semblerait que ce soit en réalité dans les périphéries des villes que celles-ci soient les plus seules : « Les habitants des milieux ruraux se sont davantage adaptés que les citadins. En quelques semaines, l’aide du voisinage aux personnes handicapées est passée de 4 % à 58 % dans les campagnes », explique Pascal Jacob, qui observe dans ces territoires une plus grande solidarité.
La crise sanitaire du COVID-19 fait également resurgir des dysfonctionnements latents. Stéphane Forgeron, qui vit seul à Paris en étant malvoyant, le constate avec un peu d’amertume : « Malheureusement, en France, les politiques publiques sur le handicap ne partent pas des besoins : aujourd’hui, il n’y a aucun service pour les courses, par exemple. Tout repose sur les bénévoles, et la plupart étant âgés… le service s’est vite écroulé après l’annonce des mesures de confinement. » Stéphane pointe les difficultés rencontrées ensuite pour aller faire ses courses : « J’ai fait appel à des amis d’amis, au départ, car les vigiles dans le supermarché où je me rendais n'acceptaient pas que je sois accompagné… Faire mes courses en ligne n’était pas non plus possible, car la plupart des sites ne sont pas adaptés aux handicaps visuels. »
La mairie de Paris a pourtant mis en place une ligne téléphonique réservée aux personnes « vulnérables », ouverte de 9h à 17h – ligne qui était au départ un service d’information général. « Quand on les appelle, ils nous renvoient vers des associations comme Les petits frères des pauvres ou la Croix-Rouge qui sont déjà surchargées. Depuis une trentaine d’années, on ne compte que sur le bénévolat. Mais celui-ci à ses limites. La ville de Paris n’a jamais créé de service pour les personnes handicapées, et aujourd’hui nous le ressentons plus que jamais. »
Stéphane Forgeron, qui s’intéresse aussi de près aux politiques publiques relatives au handicap, souligne le manque de préparation de la France face aux risques potentiels : « Nous n’avons pas en France de stratégie de résilience urbaine, et encore moins une qui prenne en compte les personnes en situation de handicap. » Contrairement à la ville de San Francisco où il a résidé et qui a déjà depuis longtemps mis en place un plan très précis de résilience urbaine qui inclut les personnes vulnérables, dont celles en situation de handicap (1).
Pour Stéphane, et pour beaucoup de personnes en situation de handicap, c’est la déréliction, et le manque de politiques publiques mises en place et d’anticipation face à la crise ne font qu’accentuer ce sentiment d’abandon. Plus largement, cette situation questionne aussi la capacité de la ville à répondre à la multiplicité des risques environnementaux et sanitaires, tout en prenant en compte, de manière inclusive, les besoins spécifiques de tous les citoyens.
(1) Appendix E: Disability Policy & Resource Manual - City and County of San Francisco Emergency Response Plan
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