Défense paysanne

La foncière antidote : un fond de dotation pour pérenniser les luttes

Illustration : Aurore Maurette

Défier le tout-puissant droit de propriété et pérenniser les luttes en recourant à un fonds de dotation : voilà l’idée ingénieuse de la foncière Antidote, qui soude peu à peu des lieux collectifs autogérés dans toute la France. 

Subvertir une loi promulguée sous la présidence de Nicolas Sarkozy afin d’acquérir des lieux collectifs en autogestion : voilà le pari relevé par la foncière Antidote depuis 2019. Le principe ? S’appuyer sur l’outil du fonds de dotation pensé à l’origine par Christine Lagarde pour faciliter le mécénat défiscalisé afin d’acquérir de l’immobilier ou du foncier et de permettre à des collectifs de s’en emparer. À l’origine, le fonds de dotation est une structure juridique très simple à créer et qui peut recevoir des dons sans limitation et défiscalisés à hauteur de 66 % pour les reverser à des initiatives d’intérêt général. 

Article à retrouver dans notre hors-série « Ces terres qui se défendent », en kiosque et sur notre boutique.


Nicolas, l’un des fondateurs de la foncière Antidote, retrace la genèse de la réflexion : « Nous étions plusieurs à échanger autour des lieux collectifs. Dans nos échanges, revenait souvent la nécessité de confronter nos expériences sur des problématiques juridiques pour ne pas faire les mêmes erreurs que d’autres avant nous. Le nœud du problème est que la propriété collective n’est pas reconnue dans le droit français, ce sont des parts qui s’additionnent. » Une gageure pour la pérennité des lieux collectifs en autogestion, notamment lorsque des conflits émergent ou que l’une des personnes engagées souhaite se retirer. 

Pour éviter de se retrouver à démêler les nœuds de la propriété privée telle qu’elle est prévue par le droit français, la foncière Antidote se porte acquéreur du lieu. Ce montage est complété par une association, Les passagères de l’usage, que chaque lieu qui rejoint le projet doit intégrer pour s’y investir à égale avec les autres. C’est au sein de l’association que sont prises les décisions. L’assemblée générale nomme par exemple les trois administrateurs de la foncière qui sont sous « mandat impératif », explique Nicolas, et donc révocables à tout moment. 

S’attaquer à l’absolutisme de la propriété privée

« Nous voulons renverser la conception que l’on a de la propriété, reprend Nicolas. Actuellement, le concept de propriété est entendu comme le droit de vendre un bien et d’en faire usage à l’exclusion de toute autre personne. Il faut retirer ce droit absolu au propriétaire et redonner du droit aux usagers. Concrètement, une fois que la foncière est propriétaire, elle cède à une association des droits très élargis par des baux emphytéotiques 1, au profit des usagers. Le propriétaire n’a plus beaucoup de prérogatives et pour revendre, il faut l’unanimité. » Une façon de tenir la ficelle par les deux bouts : laisser aux usagers la maîtrise d’un bien tout en le retirant du marché privé pour assurer la pérennité du projet et sa vocation politique « le plus longtemps possible ». Le fonds de dotation en lui-même n’a que deux fonctions : aider à lever des fonds pour financer les achats de lieux, puis les acquérir. Toutes les décisions concernant le fonctionnement ou l’intégration d’un nouveau collectif candidat sont prises au sein des associations de chaque lieu et des Passagères de l’usage, qui joue le rôle d’association chapeau dans laquelle se réunissent l’ensemble des collectifs disséminés partout en France. 


Pour Anaïs, membre du collectif Les communs de la Marinie en Aveyron, l’une des questions qui les a menés vers cette solution est l’objectif de préserver la terre agricole pour les générations futures. « Comment faire pour penser la question de la transmission ? De là, on a forcément croisé la question de la propriété. » Sortir de la propriété privée en passant par la foncière Antidote les a aidés à franchir le pas pour faire l’acquisition des 27 hectares de terres agricoles avec du bâti, dont un fournil et des habitations, qui sont au cœur du projet « multi-sectoriel » porté par ce lieu. Sur les terres des communs de la Marinie, le projet agricole est bien avancé et la production de blé ancien, de colza, de jus de pomme, de fleurs de Calendula ou encore de limonade de sureau a déjà démarré. Bientôt, ces activités seront complétées par les autres volets du projet : des activités artisanales, culturelles avec une dimension sociale et pédagogique pour faire vivre cette ferme.

De la diversité, faire front commun

Les collectifs qui entrent dans le dispositif ont des profils différents. « Le processus de cooptation est assez lent, explique Anaïs. Cela permet un temps d’interconnaissance pour décider si le lieu peut nous rejoindre. » Si une base politique commune est revendiquée, notamment la lutte contre toutes les oppressions systémiques, la diversité des profils et des cultures politiques est perçue comme un atout par William, membre du collectif Ancrage à Nancy : « Ce qui nous a plu là-dedans c’est la culture d’horizontalité qui existe, mais aussi la volonté de se fixer des objectifs et de les atteindre. La dimension anticapitaliste et autogestionnaire fait partie de notre manière de faire mais on cherche aussi de la diversité, de l’altérité. » Son collectif a investi un immeuble du centre-ville.

Deux étages sont consacrés à de l’habitat social, les deux autres à des activités autour du livre avec des ateliers d’impression, une librairie et une bibliothèque. Pour lui la foncière Antidote est aussi un espace d’échanges : « On est en train de se structurer avec des gens qui ont des cultures politiques différentes. On est au bon endroit, au bon moment. » Anaïs complète, « on s’enrichit les uns les autres ». Trois fois par an, les collectifs intégrés au projet se réunissent, ils sont six à ce jour. 

Le projet continue d’évoluer et de s’adapter aux réalités auxquelles il est confronté. Ainsi, la foncière n’est actuellement propriétaire d’aucun bien, le transfert des titres de propriété interviendra dans un second temps. Nicolas reprend : « On est en train d’affiner nos façons de faire. Nous sommes dans une phase de consolidation, bientôt nous allons passer à une étape supérieure, apparaître plus publiquement et convaincre des donateurs de nous rejoindre pour financer le fonctionnement du projet. » 


Pour aller plus loin : 

Le site de La Foncière Antidote.

« Habiter sans posséder, la vie collective à l’épreuve de la propriété », La foncière Antidote, Les Presses du Faubourg.

Un bail emphytéotique est un bail de très longue durée, il peut aller jusqu’à 99 ans en France, et qui offre des droits élargis au locataire.

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