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Lancer sa start-up : du rêve citoyen à la religion d'État

65.000 visiteurs étaient attendus hier et aujourd'hui à Paris au Salon des Entrepreneurs, le plus gros rassemblement de créateurs et dirigeants d'entreprises d'Europe. L'événement témoigne d'une frénésie sans précédent, avec 37% des Français déclarant avoir envie de se lancer dans l'auto-entrepreneuriat. Mais passent-ils vraiment à l'acte ? La "start-up mania" n'est-elle qu'un effet de mode ? Ambivalents, les pouvoirs publics mènent une politique schizophrénique à l'égard de l'innovation.

Il fait souvent la couverture des magazines, et même celle du dernier dossier de Socialter. L’Entrepreneur, figure mythique, suscite le rêve de réussir et de se réaliser dans nos sociétés modernes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 19 millions de Français déclarent avoir l’envie de lancer leur entreprise. Cela représente 37% de la population, quand ils n’étaient que 25% l’an dernier. Confirmé par un sondage OpinionWay publié en janvier dernier, c’est un “bond annuel sans précédent” et un véritable record depuis 15 ans. Il témoigne sans aucun doute d’un bouleversement de l’état d’esprit des Français, désormais prêts à embrasser cette nouvelle forme d’activité avec la fougue des aventuriers.

L’entrepreneuriat est devenu accessible, il ne fait plus peur”, explique François Hurel, président de l’Union des Auto-Entrepreneurs. Le regard des Français sur le travail indépendant a bien évolué. Ils le perçoivent comme une source de créativité (83%) et d’épanouissement (90%). Ainsi, tout plaquer du jour au lendemain est de moins en moins une folie, et de plus en plus une réalité : 7 Français sur 10 ont déjà changé de vie ou en ont eu l’envie. 45% profiteraient de se mettre à leur compte pour changer de domaine d’activité, une grande partie d’entre eux souhaitant devenir gérant de maison d’hôte, d’un commerce de proximité ou artiste. La reconversion professionnelle dessinerait la voie vers une existence plus épanouie et moins stressante.

 

Effervescence

Cet élan n’est pas né de nulle part. Il a pris forme dans un contexte économique et social où “l’esprit start-up” est vénéré. Le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, ne manque pas une occasion d’encourager les jeunes – et les moins jeunes – à créer leur propre entreprise. “Quand le quotidien est une galère, on demande d’avoir le droit de prendre des risques, de choisir sa propre vie”, argumentait le ministre en novembre à Rennes, où il a rencontré des jeunes financés par l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique). “Ça sert à ça la micro-entreprise, c’est pour ça que c’est économiquement essentiel, moralement et politiquement essentiel”. Le risque comme mode de vie et clef du succès.

En 2009, le lancement du régime de l’auto-entrepreneur, permis par la loi de modernisation de l’économie (LME), a considérablement simplifié les dispositifs administratifs. Presque immédiatement, on a noté une hausse historique du nombre de créations d’entreprises en France : 622.000 nouvelles entreprises ont vu le jour l’année suivante, en 2010. Le Salon des Entrepreneurs, dont la 23e édition se tient en ce moment au Palais des Congrès à Paris, est emblématique de cette effervescence. L’événement se donne pour mission d’aider les futurs dirigeants à “réussir [leur] création d’entreprise en mode start-up… et passer au level supérieur!”. Révélateur des dernières tendances entrepreneuriales, ce rassemblement de créateurs et chefs d’entreprises stimule le développement d’entreprises individuelles, dans la droite ligne de la politique économique française incarnée par Emmanuel Macron.

 

Une petite baisse de régime ?

Bref, l’indépendance, ce serait l’avenir et le salut. Pour deux tiers des Français (et 55% des jeunes de 18 à 34 ans), le statut d’auto-entrepreneur est la forme d’activité la plus propice à se développer dans les prochaines années, d’après l’étude OpinionWay. “Le sacro-saint modèle du salariat s’égratigne un peu plus chaque année”, constate Xavier Kergall, directeur général du Salon des Entrepreneurs. Le développement de l’économie numérique et collaborative, friande d’acteurs indépendants, entraîne même des ambitions entrepreneuriales au sein de tranches de la population qui y sont habituellement désintéressées : chez les 35-49 ans, ils sont désormais 43% à vouloir se mettre à leur compte. La moitié des ouvriers l’envisage aussi. L’appétence est inédite.

Passent-ils à l’action pour autant ? Osent-ils franchir le cap ? Publiée en parallèle du sondage OpinionWay, une enquête de l’Insee révèle une réduction de 5% des créations d’entreprises en France en 2015 par rapport à l’année précédente. S’élevant à 525.100, c’est le chiffre le plus faible depuis la mise en place du régime de l’auto-entrepreneur en 2009. La “start-up nation” en prend un coup. Principalement due à un net repli des immatriculations de micro-entrepreneurs (-21%), cette baisse se fait sentir dans toutes les régions du pays (à l’exception de l’Île-de-France qui surfe sur le succès des VTC). Le secteur de la construction contribue aussi de moitié à ce recul général, avec une diminution des créations de 17% par rapport à 2014.

Entrée en vigueur en décembre 2014, la loi Pinel n’y serait pas pour rien, puisqu’elle a complexifié les démarches en ce sens. Avec cette réforme visant à réduire la concurrence déloyale, le régime des auto-entrepreneurs a fusionné avec celui de la micro-entreprise. L’entrepreneur français est désormais soumis à des contraintes supplémentaires : il n’est plus dispensé d’immatriculation, doit déclarer son chiffre d’affaires et payer les cotisations sociales correspondantes, et ne bénéficie plus d’un régime micro-fiscal que sous certaines conditions. “On est passé d’une extrême simplicité à une complexité sur laquelle il faudrait revenir”, ont commenté François Hurel et Xavier Kergall lors de la conférence de presse du Salon des Entrepreneurs le 28 janvier.

 

Du règne du salariat à la “start-up mania”

À ces mesures, accusées d’avoir “cassé la dynamique entrepreneuriale” française, s’ajoute une insécurité qui en amène certains à renoncer à leurs projets d’indépendance. 46% des Français sondés par OpinionWay considèrent que la protection sociale des travailleurs indépendants est insuffisante. Ils sont 7 sur 10 à souhaiter plus de sécurité, avec des droits sociaux similaires à ceux des salariés, notamment en termes de chômage et de retraite.

De leur côté, les entreprises n’ont encore que peu recours à des auto-entrepreneurs ou indépendants, craignant une requalification des contrats pour salariat déguisé. La moitié d’entre elles affirment qu’elles y feraient plus souvent appel, pour diversifier leur activité ou leur offre, si ce risque disparaissait. “Un à deux millions d’activités [d’indépendants] pourraient alors être automatiquement créées”, souligne François Hurel. La France : un beau potentiel donc. Il reviendrait aux autorités de favoriser un climat juridique idéal pour ne pas tuer les Poussins dans l’œuf. 

Mais combien d’entre eux deviendront coqs ? Comme des fantasmes d’adolescents qui refont le monde, ces rêves d’indépendance ont l’attrait des effets de mode. Du règne du salariat à la “start-up mania”, il semble que nous soyons passés d’une religion à une autre. Et c’est la crise (d’ado). À l’image de ces parents désemparés, nos pouvoirs publics deviennent parfois incohérents, couvant leurs bébés start-up un jour, les sevrant le lendemain. “Nous retrouvons le culte des chatons : ‘c’est mignon à cet âge-là, dommage que ça grandisse’. Quand le start-upper bobo se transforme en patron encravaté il cesse de plaire aux élites politiques”, résume le journaliste Stéphane Soumier à BFM Business. Il dénonce la superficialité d’un “start-up washing” qui cache l’absence de politique économique en la matière, tandis que certains grands groupes français “visitent des incubateurs comme on va au zoo”, envoûtés par la magie de l’Innovation.

Avec 36 incubateurs en activité dans la capitale et une marque gouvernementale, la “French Tech”, pour fédérer et soutenir les start-up, c’est un véritable engouement pour les jeunes pousses. Et pour cause : une nouvelle société qui se crée, c’est potentiellement un chômeur de moins. Il est donc de bon ton de réveiller le mythe du self-made-man. Mais le “tous entrepreneurs” est-il vraiment possible ? Et souhaitable ? Le modèle des start-up est généralement peu créateur d’emplois et la précarité du statut d’indépendant en laisse plus d’un sur le carreau. On est loin du beau système méritocratique à la française : le soutien financier de la famille et le carnet d’adresses sont souvent de mise lorsqu’on décide de partir à l’aventure de l’entrepreneuriat, qui comprend son lot de difficultés. 3 start-up sur 10 cessent d’ailleurs leur activité avant leur troisième année d’existence. Certes, le salariat de masse n’est plus d’actualité, mais le prosélytisme de la start-up n’a pas encore converti tout le monde.

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