Merci pour l’invit’ se veut une sorte d’Airbnb au service des personnes vivant dans la rue. Quelques clics sur le site suffisent pour proposer une chambre à quelqu’un qui dort dehors. Humaid, de son côté, en appelle au porte-monnaie : cette plateforme de financement participatif récolte des fonds en faveur de particuliers en galère de santé ou de logement. Quant à Reconnect, le cloud solidaire du Groupe SOS, il stocke sur des serveurs sécurisés les pièces administratives des plus précaires…
La pauvreté en France
8,77 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 1 008 euros par mois.
894 500 personnes ne disposent pas d’un logement personnel.
141 500 vivent dans la rue, les centres d’urgence, les hôtels ou les abris de fortune.
(Sources : Insee, 2012 et 2014, et Fondation Abbé Pierre, 2016.)
Le problème de la grande pauvreté intéresse de plus en plus les entrepreneurs tech porteurs d’un projet solidaire. Associations et entreprises multiplient les initiatives pour inventer en ligne de nouvelles formes d’entraide. L’hiver et le froid leur donnent de l’écho. Mais celles qui font le plus parler d’elles reposent sur la géolocalisation, créneau occupé par une petite dizaine d’applications. Les données satellites ont vocation à créer de la solidarité à l’échelle d’un quartier ou à aider les associations caritatives à organiser leurs maraudes.
Créée par Thierry Velu, fondateur de l’association humanitaire de sapeurs-pompiers GSCF, et développée avec Epitech, We save homeless a été présentée en janvier au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas. L’appli cible les pros. "Très souvent, lors de leurs maraudes, les associations et le Samu social multiplient les interventions sans qu’elles soient coordonnées efficacement, au détriment des bénéficiaires", affirment ses créateurs. Le service propose aux ONG "de signaler les besoins des SDF rencontrés, pour les aider plus efficacement". Homeless Plus, lancée en 2015, s’adresse au contraire au grand public. Chaque inscrit est invité à "géolocaliser et identifier les besoins des sans-abri". Puis à y répondre en distribuant "restes de repas, jean usagé, couverture en trop, café, discussion ou simple sourire"… Humans Relais se situe à mi-chemin : depuis fin 2016, elle invite les associations à recenser les différents besoins des personnes à la rue, avec leur accord, pour que des quidams proposent leur aide.
Pas si simple
Chaque initiative a ses spécificités, mais toutes revendiquent des partenaires issus du monde associatif. Ce qui ne les empêche pas de faire débat chez les pros de l’action sociale. Les Enfants du Canal, par exemple, les regardent avec méfiance. Premier grief : plusieurs applications permettent de renseigner les besoins des sans-abri sans leur consentement. "Un réseau et des interventions vont s’organiser autour d’une personne sans qu’elle en soit actrice. Ce principe est effrayant", tranche Christophe Louis, directeur des Enfants du Canal. Les "bénéficiaires" n’ont pas non plus la main sur les informations enregistrées : localisation, mais aussi parfois indications sur le comportement, voire "l’état d’esprit"… "Vous aimeriez que vos voisins vous géolocalisent, puis écrivent des commentaires sur vous, le contenu de vos cabas ou les visites que vous recevez ?", interroge Christophe Louis. Le directeur refuse aussi le coup de main des outils de coordination des maraudes : "À Paris, les associations s’organisent entre elles depuis 2009."
Les Restos du Cœur, autre acteur historique du secteur, adoptent la même ligne. L’association de Coluche a décliné l’appui d’Entourage, une initiative créée fin 2014 par Jean-Marc Potdevin, ex-directeur chez Viadeo, et labellisée "La France s’engage". En plus d’une application de mise en relation entre voisins et sans-abri, elle propose aux "maraudeurs" d’enregistrer leur compte rendu quotidien grâce à un service de dictée vocale sur smartphone. Dans une note interne, les Restos expliquent y voir une menace sur la confidentialité des données récoltées, faute de garanties suffisantes sur leur stockage et leur finalité. Certaines associations évoquent le risque que les informations se retrouvent dans des mains malintentionnées, utilisées à des fins répressives. À New York, le projet Map the Homeless – littéralement "cartographier" les SDF – visait en fait à signaler aux autorités les sans-abri considérés comme une nuisance pour le voisinage, à grand renfort de mots-clés humiliants, "alcoolique", "violent", etc. Glaçant…
De son côté, Entourage promet d’être "très à cheval sur le respect de la vie privée" et dédramatise la méfiance. "Il faudra du temps pour faire comprendre notre produit", estime Claire Duizabo, en charge de la communication et de la communauté. L’application rejette aussi les critiques qui l’accusent d’"ubériser l’action sociale" en transformant, avec son volet grand public, "chaque internaute en super-maraudeur". "Le cœur de notre activité, c’est le lien social et la lutte contre la solitude, poursuit Claire Duizabo. On s’adresse à ceux qui veulent aider à leur échelle, mais ne savent pas comment s’y prendre. Il n’y a pas besoin de formation pour dire bonjour au type qui vit en bas de chez soi." Fondateur de l’association Dignité, créée par des personnes à la rue, Sébastien Frutieaux soutient la démarche. "On a besoin d’une prise de conscience générale des citoyens, que des rapports de voisinage se créent avec bon sens et humanité", déclare celui qui siège aussi à la FNARS (2), la Fédération des acteurs de la solidarité, en Île-de-France. Et tant pis si cela échappe aux vétérans du secteur. Hostiles, selon lui, "aux innovations qui ne viennent pas des acteurs établis"…
Le Carillon, innovation "low-tech"
Lancé fin 2015, le Carillon a monté un réseau de commerçants pour aider les sans-abri. Dans trois arrondissements de Paris (10e, 11e et 19e), des boutiques volontaires leur offrent une prise pour recharger leur portable, une trousse de secours, une bouteille d’eau, une boisson chaude, une coupe de cheveux, etc. Ici, ni application mobile ni innovation technologique, mais un simple macaron collé sur la vitrine (lire Socialter, n° 20, p. 50-51).
Notes :
(1) Groupe de secours catastrophe français.
(2) Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale. L’organisation a changé de nom en 2016 pour prendre celui de Fédération des acteurs de la solidarité, afin de mieux souligner son identité de réseau généraliste ouvert à la société civile.
Article initialement publié dans la rubrique Social&Co , en partenariat avec la MAIF, à retrouver dans le N°21 de Socialter >> Retrouvez l'intégralité du numéro
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