C’est bien connu, les Français sont raleurs, pessimistes et malheureux : dans le classement mondial du bonheur réalisé par des experts indépendants en 2013, la France se situe d’ailleurs à la 25e place, loin derrière le Danemark, la Norvège ou la Suisse. Dans ce quotidien morose, le travail fait-il figure d’exception ? Les Français sont-ils heureux au bureau ? Par ailleurs, sommes-nous à la pointe des innovations, des pratiques et des technologies concernant l’environnement de travail ?
L’enquête Ipsos commandée par l’entreprise de mobilier de bureau Steelcase compare le bien-être des employés de bureau par rapport à leur espace de travail dans 14 pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord – elle a été conduite auprès de 10 527 personnes travaillant dans des entreprises de plus de 100 salariés, à partir d’enquête en ligne et d’entretiens de janvier à avril. Les conclusions de la récente étude ne sont pas vraiment encourageantes côté français.
En effet, un peu moins de la moitié des cadres interrogés (43 %) s’estiment peu ou pas du tout satisfaits de leur espace de travail. C’est bien plus qu’en Allemagne (28 %) ou aux États-Unis (23 %). Bien que les Français restent attachés aux bureaux individuels par rapport aux autres pays – ils sont 37 % à en disposer –, beaucoup d’employés de bureaux exercent leurs tâches dans des open space (24 % d’entre eux). Une condition de travail jugée stressante pour 45 % des salariés au niveau mondial. Un constat partagé par Philippe Sarnin, professeur de psychologie du travail et des organisations à l’université Lyon-II : « L'open space, pratiqué généralement pour des questions de coûts, est peu compatible avec la confidentialité que demande certaines activités, dont celles des cadres. Il ajoute aussi un contrôle social entre collègues particulièrement pénible ».
Répartition des travailleurs par type d’espace de travail
Taux de satisfaction à l’égard de l’environnement de travail
(source : Ipsos / Steelcase, étude réalisée auprès de 10 527 personnes travaillant dans des entreprises de plus de 100 salariés dans 14 pays européens)
Le manque de mobilité au sein de l’espace de travail conduit à l’insatisfaction
Il apparaît que les Français sont très critiques à l’égard de leur environnement de travail : 31 % d’entre eux jugent leur bureau impersonnel, 6 % seulement le trouvent beau et 35 % estiment que c’est un facteur de stress. Claude Louche, professeur émérite de psychologie du travail et des organisations à l’université de Montpellier 3, tient toutefois à nuancer ces chiffres : « L’espace n’est qu’un déterminant parmi d’autres (nature des tâches, relations aux collègues et à la hiérarchie, composantes expressives ou instrumentales de la relation à l’organisation, nature de l’engagement organisationnel….) du bien-être ». Claude Louche rappelle par ailleurs la centralité de la valeur travail dans la société française, « source d'identité sociale, de statut, un sentiment d'utilité à la société, etc. ». Les Français sont donc particulièrement exigeants vis-à-vis de leur environnement de travail, ce qui explique en partie ces mauvais chiffres.
L’étude montre également que le manque de choix concernant l’espace de travail contribue au sentiment d’insatisfaction. À l’inverse, 82 % des employés pouvant passer d’un espace de travail à un autre au cours d’une même journée (d’un lieu collectif à un bureau plus intime par exemple) « considèrent que les locaux de l’entreprise sont un endroit approprié pour travailler et qu’il correspond bien à leur mode de vie ».
Télétravail : la France à la traîne
Dans notre pays, seuls 21 % des collaborateurs ont accès au télétravail. Un faible, notamment lorsqu’on regarde outre-manche : la Grande-Bretagne donne en effet la possibilité à 47 % de son personnel de bureau d’avancer sur ses projets à la maison. Comment expliquer que le télétravail ne soit pas entré dans les habitudes françaises ? Selon Philippe Sarnin, iI existe « une culture de la défiance, assez typique du management dans les entreprises françaises ». Ce dernier ajoute : « les directions veulent "garder le contrôle", et cela d'autant plus que la formation de nos élites (grandes écoles, pantouflage, etc.) ne passe pas par une connaissance des activités, du travail. D'où la multiplication des machines de gestion et d'indicateurs que les cadres doivent alimenter en données au détriment de leur cœur de métier ».
Pour autant, le télétravail présente de nombreux atouts, pour les entreprises comme pour les salariés. « Le télétravail offre des gains de flexibilité, estime Claude Louche. Il conduit à une réduction des frais généraux, amène une augmentation de la motivation des salariés et contribue à l’augmentation des performances ». Pour les salariés, « le télétravail supprime les coûts de transport et les tensions des déplacements, il offre une large autonomie et permet de mieux réguler les relations entre le travail et le “hors-travail” ».
Bonne ambiance ?
Plus rassurant enfin, on remarque qu’une très grande majorité de Français interrogés (65 %) se dit satisfaite de l’ambiance qui règne au travail. Toutefois, au vu des résultats de l’étude, beaucoup de points restent à améliorer, comme la mobilité dans l’entreprise par exemple. Pour y rémédier, les experts préconisent de varier les espaces de travail, au lieu d’avoir un espace unique.
Selon Claude Louche, il reste difficile de définir des solutions idéales sans considérer le contexte : « Il faut prendre en compte tous ces facteurs de contexte en n’oubliant pas de considérer le besoin de privacité – c’est-à-dire d’espace personnel privé – des salariés, qui dépend du statut, de la tâche à accomplir, de la personnalité », explique-t-il. Les réponses sont à trouver, selon lui, « dans une démarche collective pour obtenir les meilleurs résultats ».
En France, beaucoup de chemin reste encore à parcourir pour que les salariés puissent s'approprier leur espace de travail. Si certaines entreprises – notamment des PME – proposent désormais à leurs collaborateurs un jour de télétravail par semaine, bousculant les freins culturels à ce type de méthode, c’est surtout en dialoguant ensemble que salariés et chefs d’entreprises pourront trouver des solutions qui conviennent à tous.
Source et lien vers l’étude juste ici.
Crédits photo by Flickr by Pekka Nikrus
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