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Les technologies de capture du carbone pourront-elles contrer le réchauffement climatique ?

Des chercheurs ont mis au point des systèmes de captation et de séquestration du carbone pour réduire les taux de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Ils souhaitent ainsi infléchir la courbe du réchauffement climatique. Mais en raison de leur faible rentabilité économique et énergétique, ces technologies peinent à convaincre.

Et si, en parallèle de la lutte pour la réduction des émissions de CO2, nous pouvions également stocker le carbone déjà relâché ? C’est du moins l’objectif écologique annoncé des entreprises développant des systèmes de capture et de séquestration du carbone atmosphérique. L’une d’elles, Climeworks, ambitionne de capter 1% des émissions mondiales de CO2 d’ici 2025.

Basée à Hinwil, non loin de Zurich, cette entreprise suisse fondée en 2017 utilise des ventilateurs géants dotés de filtres absorbant le CO2 dans l’air avant d’en faire du gaz concentré. Ce dernier constitue une ressource qui peut être revendue : il est recyclable entre autres dans la production de boissons gazeuses et dans les serres, où l’augmentation (contrôlée) du taux de CO2 permet d’accélérer la photosynthèse des plantes et d’améliorer les rendements. Associé à l’eau, le dioxyde de carbone peut aussi être transformé en divers carburants… et ainsi être lâché à nouveau dans l’atmosphère.

Des applications qui peuvent sembler conflictuelles au regard de l’objectif écologique annoncé par l’entreprise. « L’argument avancé par Climeworks, détaille Aïcha El Khamlichi, ingénieure à l’ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie), est qu’il vaut mieux réutiliser le carbone qu’on a déjà à notre disposition dans l’air plutôt que d’en libérer encore davantage en puisant dans les sols, dont les ressources sont par ailleurs limitées ».

© Climeworks Facebook.


Autre option : pour ne pas être réinjecté dans l’atmosphère, le dioxyde de carbone peut être stocké dans les sols. Ainsi, en octobre 2017, Climeworks a annoncé avoir lancé une opération expérimentale de séquestration du carbone en Islande. « Le CO2 est capturé dans l’air, dissous dans l’eau et envoyé à plus de 700 mètres sous terre, précise le communiqué de presse de l’entreprise. Le CO2 réagit alors avec les roches basaltiques et forme des minéraux solides, pour un stockage en toute sécurité. »  

 

Un problème de rentabilité


Un des obstacles majeurs aux technologies de capture et de séquestration du carbone est son prix. Cela coûterait, selon les chiffres de Climeworks de cette année, entre 200 et 300 euros pour récupérer une tonne de CO2, contre seulement une vingtaine d’euros en plantant simplement des arbres ! D’après Aïcha El Khamlichi, pour devenir rentable, Climeworks miserait à long terme sur les revenus générés par le cours du crédit-carbone, des unités attribuées aux projets réduisant les émissions de CO2 (un crédit correspond à une réduction d’une tonne de CO2). A l’heure actuelle, il faut compter 44,6 euros pour une tonne de CO2, mais le tarif devrait continuer à augmenter.

Autre inconvénient de taille : la faible rentabilité énergétique de ces technologies, malgré des objectifs ambitieux… voire irréalistes selon la chercheuse. En 2017, Climeworks admettait qu’il faudrait construire pas moins de 750 000 usines supplémentaires pour capter 1% du dioxyde de carbone atmosphérique mondial, et qu’elle n’absorbait pour l’heure que 900 tonnes de CO2 par an (soit 18 ventilateurs pouvant capter 50 tonnes de CO2 par an).

Sans compter que « les technologies de capture de carbone consomment beaucoup d’énergie qu’on pourrait utiliser autrement », alerte Aïcha El Khamlichi. Car il faut bien construire et faire tourner les ventilateurs géants. L’évaluation de leur empreinte écologique totale ne peut se passer d’un bilan énergétique complet, incluant la fabrication des infrastructures et le transport.

Or les chiffres de Climeworks se concentrent sur le processus de capture du CO2 en lui-même. Récupérer une tonne de dioxyde de carbone consommerait, selon la société suisse, entre 1500 et 2000 kWh pour le chauffage (qui sert à extraire le CO2 du filtre) et entre 200 et 300 kWh pour l’électricité. À l’en croire, ces technologies auraient toutefois l’avantage d’utiliser de la chaleur produite par les usines environnantes par exemple, et de ne pas consommer d’eau.

Un atout non négligeable par rapport à d’autres solutions mises en place pour réduire les taux de CO2 atmosphérique, comme la plantation d’arbres (afforestation), qui nécessite selon l’entreprise suisse 740 km3 d’eau pour absorber huit gigatonnes de dioxyde de carbone même si d’autres facteurs sont à prendre en compte pour évaluer la rentabilité de ces plantations, nuance Aïcha El Khamlichi.

Privilégier les méthodes naturelles ?


De nombreuses techniques de capture du carbone prometteuses se développent en marge de cette technique dite de « Direct air capture ». Dernière découverte en date : une série de réactions chimiques entre les produits de l’électrolyse de l’eau de mer (qui pourrait être alimentée par de l’électricité issue d’énergies renouvelables) et des minéraux (carbonates, silicates). Celles-ci permettent la capture de dioxyde de carbone et la production de bicarbonate dans les océans, ce qui réduirait l’acidification de ces derniers. Selon une étude parue dans le journal Nature climate change le 25 juin, cette technique serait 50 fois plus efficace que les technologies de capture et de séquestration de carbone de type Climeworks.

Mais la technologie est-elle la réponse au problème de l’effet de serre ? « Je suis convaincu de la durabilité des puits de carbone biologiques, qui reposent sur une approche plus inclusive que ces technologies coûteuses », explique pour sa part Julien Demenois, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Moins « clivants », ceux-ci ont l’avantage de pouvoir bénéficier à tous, y compris aux pays en développement qui n’ont pas accès aux à ces technologies sophistiquées, tout en ayant des effets bénéfiques sur l’agriculture et le climat.

Évoquant l’initiative 4 pour 1000 mise en place au moment de la COP21 à Paris en 2015, le chercheur rappelle qu’un taux de croissance annuel de 0,4% du stock de carbone dans le sols permettrait de mettre un terme à l’augmentation de CO2 atmosphérique liée aux activités humaines. Pour séquestrer davantage de carbone dans les sols, « il faut s’appuyer sur le végétal, qui capte le dioxyde de carbone dans les airs via la photosynthèse et le réinjecte dans les sols, et limiter l’érosion », explique-t-il avant de vanter les mérites de l’agroécologie. Assurer une couverture végétale permanente sur les sols, limiter les labours des champs, effectuer des rotations des cultures et privilégier les engrais organiques sont autant de manières de s’assurer de la conservation du carbone dans les sols.

« Bien d’autres actions doivent être menées en parallèle de la capture du carbone », conclut Julien Demenois en rappelant qu’une des critiques formulées sur la séquestration du carbone biologique ou non ne règle pas le fond du problème, à savoir des émissions trop importantes de gaz à effet de serre.

Aïcha El Khamlichi se dit quant à elle à la fois « dubitative » et « impressionnée de la rapidité de l’évolution des technologies de capture de carbone. Des méthodes qui seront, selon elle, nécessaires d’ici 2050 à 2100, quand on ne pourra plus s’en passer pour baisser les taux de CO2 atmosphérique et limiter la hausse de la température globale… En attendant, « la meilleure technique de capture du carbone reste la protection des forêts et des sols », conclut-elle.

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