À l’automne 2020, quelques initiés ont repéré un bouleversement passé inaperçu auprès du grand public. « C’est stupéfiant ! » nous confiait même Bruno Latour, dans un grand entretien que le philosophe nous avait accordé peu après. Cette sidération était provoquée par un article publié dans Nature, qui étayait une affirmation vertigineuse : la masse des objets fabriqués par l’homme surpasse désormais celle de toute la biomasse vivante. « En moyenne, chaque personne sur la planète produit chaque semaine une masse anthropique supérieure à son poids corporel », précisait l’étude.
Article à retrouver dans notre numéro 58 « L'empire logistique », en kiosque, librairie et sur notre boutique.
Qui, bien entendu, ne mentionnait pas l’infrastructure qui a rendu possible la circulation de cette technomasse : la logistique. Sans cette science du pilotage des flux matériels, impossible d’imaginer l’explosion du commerce international, à l’image du trafic par porte-conteneurs qui a vingtuplé entre 1980 et 2017. En distribuant de plus en plus de produits de plus en plus vite, la logistique rythme nos vies, maîtrise son tempo, contrôle son approvisionnement.
Mais elle n’apparaît jamais dans le débat. Comme si cet objet, en étant partout donc en ayant l’air de n’être nulle part, était trop évanescent pour être attrapé. Même son origine, en puisant dans deux sources distinctes, laisse flotter une ambivalence....