Une lutte pionnière contre le racisme environnemental
Afton en Caroline du Nord
Période : 1982
Type : Décharge de déchets toxiques
Population concernée : Minorités du comté de Warren
En 1982, une décharge de 60 000 tonnes de terres polluées aux pyralènes (PCB) prévoit d’être installée à Afton, dans le comté rural de Warren en Caroline du Nord, soit dans une localité peuplée à 84 % d’Afro-Américains, pour la plupart vivant sous le seuil de pauvreté. À l’arrivée des camions qui transportent les déchets toxiques, les manifestants s’allongent au milieu des routes pour bloquer leur passage. Car les PCB – des huiles chimiques utilisées comme isolants dans les transformateurs électriques sous la marque d’Aroclor aux États-Unis – sont hautement toxiques pour l’organisme. Durant ces manifestations pacifiques, plus de 500 personnes sont arrêtées par la police, dont le révérend Benjamin Chavis, à la tête du mouvement.
Article issu de notre n°66, en kiosque, librairie, à la commande ou sur abonnement.
Malgré six semaines d’actions continues, les riverains perdent leur action en justice et les terres polluées seront finalement déversées sur le site. Dans les années 1980, le comté de Warren compte le pourcentage d’habitants noirs le plus élevé de Caroline du Nord. Après la mobilisation, le pasteur Benjamin Chavis lance une étude à l’échelle nationale qui confirme à sa publication la corrélation entre la localisation des déchets toxiques et la présence de minorités raciales aux États-Unis. Il sera le premier à parler de « racisme environnemental » en 1987. Ses conclusions aboutiront à l’introduction de réglementations fédérales, et à l’obligation de prendre en compte la justice environnementale au sein des activités de l’Environnemental protection agency (EPA).
Si cette lutte n’a pas abouti à une victoire, elle marque la naissance du mouvement pour la « justice environnementale », qui s’inscrit dans la continuité des combats pour les droits civiques des personnes noires et des minorités aux États-Unis. Elle inspirera, par la suite, de nombreuses autres luttes dans le monde.
Au nom des victimes du colonialisme nucléaire
Polynésie, Algérie
Période : De 1960 à 1996
Type : Essais nucléaires en territoires colonisés
Population concernée : 400 000
Pendant près d’un demi-siècle, l’État français a maintenu que les tests effectués dans ses colonies pour développer la bombe nucléaire étaient « propres ». Des décennies de luttes locales ont permis de lever une partie du voile sur de vertigineux secrets d’État : les déchets nucléaires jetés dans l’océan Pacifique ou enterrés dans le désert saharien, les accidents passés sous silence, la contamination des populations et de l’environnement, le développement de maladies radio-induites et, au final, le fait que ces essais nucléaires ont tué. Les combats militants et judiciaires d’associations – notamment 193 et Moruroa e tatou en Polynésie – ont abouti à la déclassification des informations relatives aux essais nucléaires et à la loi Morin en 2010 qui ouvre la voie à une indemnisation des victimes. Depuis, seules 1 026 personnes ont obtenu réparation. Selon ICAN France (la campagne internationale pour abolir les armes nucléaires), le nombre de victimes s’élèverait à 400 000.
Les premières expérimentations nucléaires ont eu lieu entre 1960 et 1966 en Algérie. Après l’indépendance, elles se sont poursuivies en Polynésie jusqu’en 1996 avec 193 tests, dont 46 explosions atmosphériques correspondant à 800 fois la puissance du bombardement d’Hiroshima. De l’appropriation des terres à l’omerta organisée, ces essais nucléaires ont été imposés sur des territoires jugés comme secondaires. En Algérie colonisée comme sur l’archipel polynésien inscrite à l’ONU sur la liste des territoires à décoloniser, c’est un fait colonial.
Aujourd’hui, les militants poursuivent leur combat pour « la vérité » et la « justice » en intégrant cette perspective décoloniale à leur lutte. « On ne peut pas guérir sans décoloniser les pensées, explique Moruroa e tatou devant la commission d’enquête parlementaire sur les essais nucléaires ouverte (et fermée) en 2024. L’étape finale sera la guérison du peuple et de la Terre mère qui a été étripée, souillée et violée. »
Agent orange : l'écocide passé sous silence
Vietnam, Laos, Cambodge
Période : 1973-1976 à aujourd’hui
Type : Contamination intergénérationelle
Population concernée : Entre 2,1 et 4,8 millions de Vietnamiens, sans compter les victimes au Laos et au Cambodge et les vétérans états-uniens
Durant l’opération Ranch Hand menée par l’armée états-unienne lors de la guerre du Vietnam de 1961 à 1971, près de 80 millions de litres de défoliants – dont le plus utilisé, l’agent orange – sont déversés sur la végétation de la partie sud du Vietnam, mais aussi au Laos et au Cambodge. L’objectif ? Détruire le couvert végétal pour débusquer les résistants vietnamiens et, par la même occasion, raser les cultures. Cette destruction massive des écosystèmes, considérée par la suite comme le premier écocide de l’Histoire, continue d’avoir des conséquences sur les populations.
Depuis les épandages, l’un des dérivés de l’agent orange, la dioxine, a contaminé les corps humains. Cette molécule tératogène (du grec teras, « monstre ») cause de nombreuses pathologies à la naissance. Malformations physiques, troubles de la cognition, cancers, diabète… La liste des maladies impliquées est longue. Selon une étude publiée dans la revue Nature en 2003, entre 2,1 et 4,8 millions de Vietnamiens ont été directement exposés à la dioxine.
Si les vétérans états-uniens ont reçu une compensation de 180 millions de dollars à se partager après avoir trouvé un accord avec les entreprises en 1984, ce n’est pas le cas des victimes vietnamiennes qui ont vu leur plainte rejetée en 2005. Un seul espoir persiste, avec le procès de la Franco-Vietnamienne Tran To Nga, journaliste pendant le conflit et en contact direct avec l’agent orange pendant la guerre. Le procès a débuté en 2014 à la cour d’Évry (Essonne) contre 26 multinationales états-uniennes qui ont produit l’agent orange – dont l’entreprise agrochimique Monsanto (rachetée depuis par le groupe allemand Bayer) et Dow Chemical. En 2021, la plainte de Tran To Nga est déboutée par le tribunal. Le 22 août 2024, la Cour d’appel de Paris a confirmé le caractère « irrecevable » de la plainte. Il reste donc une dernière étape pour Tran To Nga et ses avocats : la Cour de cassation.
Le combat des ogonis contre Shell
Nigéria
Période : 1956 à aujourd’hui
Type : Appropriation des terres
Population concernée : 200 000
D’un côté, il y a Shell, le puissant pétrolier britannique qui s’installe en 1956 sur le territoire ogoni dans le sud-est du Nigeria – l’une des plus grandes réserves pétrolières d’Afrique. De l’autre, un peuple de 200 000 âmes spolié de ses terres qui assiste, réduit à la misère, à l’un des plus grands désastres écologiques planétaires. Parmi eux, un militant et écrivain, Ken Saro-Wiwa est considéré comme le pionnier d’une écologie politique africaine et décoloniale. Sa pensée est notamment développée dans son livre Genocide in Nigeria: the Ogoni Tragedy, publié en 1992. Il est alors le leader du Mosop (Mouvement pour la survie du peuple ogoni) et dénonce « une recolonisation » du Nigeria2 par les groupes pétroliers occidentaux, alliés du gouvernement fédéral, au détriment d’un peuple et de la nature.
Des mobilisations ogonies massives ont lieu en 1993 et trouvent un écho international. Elles seront réprimées dans le sang par le gouvernement nigérian. Au moins 3 000 Ogonis sont exécutés, dont l’écrivain Ken Saro-Wiwa, pendu en prison en 1995 malgré la mobilisation diplomatique pour le sauver, sous l’égide de Nelson Mandela. Ces événements conduiront Shell à suspendre ses activités en territoire ogoni en 1993. Depuis, la compagnie a été condamnée au Nigeria et aux Pays-Bas pour ses activités destructrices. Une jurisprudence de référence pour les victimes africaines de crimes environnementaux.
L’or noir ogoni aurait rapporté aux exploitants étrangers des revenus estimés à plus de 100 milliards de dollars, selon les informations de la radio RFI en 2015. Il a aussi enrichi l’élite au pouvoir qui assurait la sécurité des compagnies pétrolières. Les Ogonis, eux, n’ont jamais vu la couleur des pétrodollars mais ont subi des marées noires successives et une pollution pétrolière extrême, selon les constats de l’ONU. Un programme de dépollution a été lancé en 2016, financé à 90 % par des groupes pétroliers mais sa réalisation reste défaillante et la dette pétrolière, loin d’être soldée. Les Ogonis vivent aujourd’hui dans la misère totale et un environnement hautement toxique, sans routes, sans écoles, sans hôpitaux, sans pouvoir pêcher, cultiver, respirer de l’air pur ni boire de l’eau potable.
Convergence des luttes autochtones et environnementales
Amazonie
Période : 1984 à aujourd’hui
Type : Déforestation massive
Population concernée : 3 à 4 millions de personnes au sein des peuples autochtones
« Le jour où les peuples autochtones disparaîtront, l’Amazonie disparaîtra également, déclare en 2020 au média en ligne Mongabay Gregorio Díaz Mirabal, l’ex-coordinateur général du Congrès des organisations indigènes du bassin amazonien (COICA). Si l’Amazonie meurt, l’humanité mourra avec elle. » Son organisation représente trois à quatre millions de personnes en Amérique du Sud et se bat depuis 40 ans pour l’autodétermination des peuples amazoniens sur des territoires légalement délimités. L’objectif est triple : protéger les droits autochtones, la forêt amazonienne et par là, l’humanité globale en préservant un territoire régulateur du climat et réservoir de biodiversité sans lequel elle ne peut pas survivre.
Ces revendications ont abouti au lancement, à partir des années 1990, d’un travail de démarcation des terres autochtones en Amazonie, soutenu depuis 2021 par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Cette délimitation, bloquée pendant le mandat de l’ex-président Jair Bolsonaro, n’est pas encore achevée et reste peu respectée par ceux qui convoitent les richesses amazoniennes.
Plus globalement, la COICA a joué un rôle majeur au niveau mondial pour la reconnaissance de la convergence des luttes autochtones et environnementales. Depuis ses origines, elle s’oppose aux activités extractives, la construction de barrages, l’agriculture intensive ou la déforestation massive qui détruisent la plus grande forêt tropicale du monde en même temps que ses habitants. Une lutte qui s’est heurtée et se heurte encore aux industriels, aux gouvernements locaux, mais aussi aux stratégies de conservation favorables à la mise en place d’aires protégées, parfois au détriment des peuples autochtones.
La COICA soutient au contraire que la présence et les savoirs autochtones sont nécessaires à la connaissance, la conservation et la restauration des écosystèmes amazoniens. Ce qui est étayé par la science. Des travaux publiés en 2021 dans la revue Ecology&Society montrent par exemple que la conservation sous contrôle des peuples autochtones est près de trois fois plus protectrice pour les humains comme la nature que celle placée sous le contrôle d’États, d’ONG ou d’entreprises privées.
Les Baka face au « colonialisme vert »
Bassin du Congo
Période : 1935 à aujourd’hui
Type : Conservation forteresse
Population concernée : 40 000
En 1935, le parc national d’Odzala-Kokoua, situé au nord-ouest de la République du Congo, a été créé par l’administration coloniale française, alors que le Congo était encore une colonie. D’une centaine de milliers d’hectares à l’époque, il s’étend aujourd’hui sur près d’un million d’hectares dans les forêts du Bassin du Congo. Pour répondre à la vision des conservationnistes, désireux de créer une nature vierge dénuée de présence humaine, les peuples autochtones sont expulsés des zones nouvellement délimitées sous protection, avec le soutien financier d’organisations comme le WWF ou encore de l’Union européenne.
C’est le cas du peuple baka qui vit traditionnellement de chasse, de pêche et de cueillette et regroupe environ 40 000 personnes réparties sur plusieurs pays d’Afrique dans le Bassin du Congo. Depuis 2010, la gestion du parc est confiée à l’organisation African Parks, dont les gardes armés sont accusés de nombreux cas de violence envers les locaux qui franchissent les frontières des aires protégées. Les Baka – qui, pour la plupart, n’ont pas été consultés pour la création de ces aires protégées – chassent pour nourrir leur famille. « Alors que les Baka vivent désormais dans des villages au bord des axes routiers, des concessions forestières et minières sont tolérées dans le parc et ses alentours. Et des lodges de luxe, situées en plein cœur du parc, accueillent des touristes fortunés chaque année », déplore Paul Renaut, chargé de campagnes pour Survival International, une ONG qui lutte pour défendre les droits des Baka à leurs côtés et faire pression sur les organismes de conservation.
Un exemple typique de « colonialisme vert », théorisé par l’historien Guillaume Blanclire page 42, « d’un peuple qui passe de l’autosuffisance à la misère au nom de la protection de la nature », poursuit Paul Renaut. Car « forcés de s’intégrer à notre société capitaliste, privés des ressources de la forêt et de leurs terres, qui constituent la base de leur identité et de leur mode de vie, ils doivent désormais travailler pour d'autres communautés et se retrouvent la plupart du temps en situation d’exploitation ».
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