A compléter

[Mad Men #2] Pour des femmes bien dans leur peau et dans leur ville

Après le scandale des femmes agressées à Cologne et autres remous au Sénat français sur la question du harcèlement sexiste dans les transports, Socialter dit non à toute forme de sexisme. Parce que c'est une lutte de chaque instant, nous vous avons concocté une série d'articles consacrée à des initiatives qui veulent y mettre fin. Deuxième épisode : Womenability, l'association qui repense l'espace urbain, avec les femmes dedans.

T’as jamais dragué dans le métro ? J’adore ça, j’ai déjà plusieurs fois donné mon numéro de téléphone”, annonce-t-elle dans un grand éclat de rire. L’enthousiasme d’Audrey Noeltner surprend, son audace encore plus. À la voir, on pourrait presque croire que tout va bien dans le meilleur des moyens de transport.

Ce serait oublier le chiffre choc du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh, avril 2015) : 100% des utilisatrices des transports en commun auraient été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles. Et dans les rues, elles apprennent à baisser la tête sans répondre, à s’habiller différemment, à éviter certains quartiers. Comme de véritables intruses dans leur propre ville.



Que sa bonne humeur exceptionnelle ne nous méprenne pas : Audrey Noeltner est lucide. “
Oui, des problèmes existent, mais aussi des solutions!” Plutôt que d’accepter cette situation de fait, la jeune urbaniste de 28 ans a voulu réagir. Avec Charline Ouarraki et Julien Fernandez, rencontrés dans une pépinière d’entreprises à La Courneuve, elle a fondé Womenability en mai 2014.

Leur rêve : des cités plus équitables, où femmes et hommes se sentent bien. “Les villes sont le lieu de la démocratie”, continue la manageuse du projet, “chacun devrait y avoir sa place, s’exprimer, se déplacer librement.” Pour faire de la mixité une réalité concrète, l’équipe de Womenability a élaboré un protocole d’étude-action précis et ambitieux, qui commence par 25 marches exploratoires à travers le monde.

 

Où poser son bébé lorsqu’on va aux toilettes ?

Ils ont ouvert le bal hier, sous la pluie, dans le quartier Charles Hermite au cœur du 18e arrondissement de Paris. Accompagnés d’habitants et de personnes travaillant dans le voisinage, munis de questionnaires, ils ont marché deux heures pour identifier les problématiques rencontrées par les femmes.



Quand on s’arrête un instant, on l’observe partout : dans les lieux sportifs, dans les parcs, la population est majoritairement masculine. Une situation institutionnalisée par
des équipements publics fortement sexués : rares sont les fillettes à aller s’amuser au skatepark ou dans les stades de foot. Les villes seraient-elles faites uniquement pour les hommes ? Souvent, les femmes se contentent de les traverser sans trop s’attarder.

Assez peu étonnant, quand on sait que la plupart des urbanistes qui pensent l’espace public sont des hommes. “On aimerait leur faire réaliser des choses dont on n’a pas forcément conscience si l’on n’est pas une femme”, explique Audrey Noeltner, qui énumère de multiples préoccupations féminines quotidiennes : “Est-ce que cette rue est assez éclairée ? Où s’arrêter pour allaiter son enfant ? Et où le laisser lorsqu’on va aux WC ? Dans les toilettes publiques au Japon, par exemple, ils ont prévu un rebord exprès pour y poser son bébé.

S’inspirer d’exemples étrangers pourrait apporter des éléments de réponses permettant aux femmes de se réapproprier l’espace urbain. Mardi 8 mars, après plus d’un an de préparation, ils seront deux de l’association à partir pour un voyage en Europe, qui s’élargira en un tour du monde pendant neuf mois. Armés d’une caméra, de stylos et d’une motivation sans faille, Audrey Noeltner et Julien Fernandez se rendront à Malmö, Prague, Madrid, puis Wellington, Baltimore, Montevideo, Yokohama… Autant de villes qui ont en commun d’être dirigées par des maires femmes.

 

Vers une charte internationale de la ville mixte

À chaque destination, diverses associations locales les aideront à préparer les explorations urbaines. En échange, les membres de Womenability dispenseront une formation gratuite à leurs partenaires pour mieux les sensibiliser à la place des femmes dans la ville. Une plateforme numérique d’échange sera également mise en place afin de partager les bonnes pratiques et les initiatives innovantes.

La petite équipe voit loin. En mai 2017 à Paris, un forum co-organisé par la mairie de Paris et ONU Femmes devrait réunir plus de 200 acteurs. Maires, urbanistes, acteurs associatifs, chercheurs et représentants d’entreprises travailleront à la rédaction d’une charte internationale pour des villes plus mixtes.




Et finis les beaux discours sans effet : Womenability entend bien produire un texte véritablement opérationnel, à ratifier par les métropoles du monde entier pour engager les acteurs de la ville vers un vrai changement. “La ville de demain se construit dès aujourd’hui!”, clame l’association sur HelloAsso, appelant le public à financer les 10.000 euros qu’il leur reste à rassembler pour mener le projet à bien.

Parce qu’on ne parle pas là d’une minorité, mais bien de la moitié de la population vivant dans une insécurité quasi permanente. Lorsque les femmes se sentiront plus à l’aise, plus autonomes, il se pourrait qu’elles deviennent plus ouvertes aux vraies rencontres dans l’espace public. Voire même qu’elles laissent plus souvent leur numéro de téléphone à un joli voisin dans le métro. Ça vaut le coup.

 

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[Crédit photo 1: Paolo Pizzimenti]

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