Vous parlez dans votre ouvrage de mode “toxique” pour qualifier la filière actuelle, quelles sont ses caractéristiques ?
À l’origine la mode servait simplement à couvrir le corps. Mais il y a rapidement eu une dimension culturelle : celle de nous sentir mieux, de nous épanouir dans l’image que l’on veut donner aux autres. Aujourd’hui, à tous les niveaux, la mode ne remplit plus cette promesse.
Qu’est-ce qui est affecté par cette dérive ?
L’environnement bien sûr, parce que la mode d’aujourd’hui pollue et détruit notre milieu de vie. Mais elle met aussi en danger l’économie et les emplois : on part au bout du monde, produire toujours plus, pour un marché déjà saturé. Et on exploite, pour obtenir des prix plus bas. La part du salaire que l’on reverse au travailleur dans le prix d’un tee shirt standard est de seulement 0,6% ! Il y a un problème de valorisation du savoir faire.
Tout ça pour satisfaire les désirs du consommateur ?
Non, car il faut bien comprendre qu’il y a un malaise général concernant le système de la mode. Les consommateurs sont frustrés aussi. Ils ne portent même plus ce qu’ils achètent et gaspillent de l’argent. La mode est restée coincée aux Trente glorieuses et on nous promet que plus on consommera, plus on sera plus heureux. Mais c’est faux, il nous faut remettre les objets à leur place, déconnecter l’avoir et l’être. Le marketing de la mode impose en plus une vision erroné du corps. Ce n’est pas un hasard si 70% des Françaises souhaitent absolument maigrir.
Contrairement à l’alimentation écolo, on dirait que la mode durable a du mal à prendre, pourquoi ?
Les vêtements sont associés à la légèreté, à l’art, à la futilité… Confronter ce sujet là au sérieux et à la gravité des conséquences de la production actuelle est très difficile. Il y a un antagonisme qui n’a pas encore été résolu. Et puis la mode, ce n’est qu’une “histoire de femme”, donc ce n’est pas sérieux… Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, les gens pensaient tous que j’allais juste coudre des petites pochettes en tissu.
La désindustrialisation de l’économie ne nous condamne-t-elle pas à l’inaction ?
Je ne pense pas. Tout simplement parce qu’on n’a plus beaucoup de temps devant nous : il y a une urgence environnementale. D’autant plus qu’on recrée aujourd’hui des industries manufacturières en France. Et puis, en réalité, qui peut prévoir les changements structurels : Qui avait prévu le succès du bio ? Ou que l’autopartage allait devenir une norme ?
Une étude vient d’être publiée, elle indique qu’en 2027 le marché de la fripe devrait être plus important que celui de toute la “fast fashion” [la mode bas de gamme dont les collections se renouvellent le plus rapidement possible]. C’est une vraie piste pour la mode écologique. Les vêtements d’occasion, en plus d’être moins toxiques, portent une autre vision de la mode. On les répare, on les remet au goût du jour, on se les approprie...
Faut-t-il s’attaquer aux grandes enseignes pour faire avancer les choses ? Évidemment, je serai ravie si les centre-villes se remplissaient de petits initiatives locales et durables. Mais si l’on veut changer les choses, c’est tout le paysage de la mode qu’il faut transformer. Les grandes enseignes ont donc aussi un rôle à jouer. D’autant plus qu’il y a un vrai secteur à prendre, avec une véritable création de valeur possible.
Un rapport de la fondation Ellen Macarthur a montré que 422 milliards de dollars pouvaient être générés si l’on recyclait les textiles. Même si je préférerais que cet argent reste dans l’économie solidaire, et pas pour alimenter des profits privés, cela montre qu’il y a une incitation financière à aller vers la mode éthique. Les grandes enseignes doivent le comprendre.
Vous organisez les “Fashion green days” à Roubaix le mois prochain, quel est le principe ?
C’est le premier forum de la mode circulaire. L’objectif est de faire un état de l’art technique et scientifique. De savoir où on en est de la conception de vêtements écologiques. On veut aussi mettre en avant les initiatives, les créateurs, mais aussi les propositions des grandes entreprises. Parler de tout ça, le mettre en débat. Ce sont deux jours où on espère susciter encore plus d’ambitions et commencer à structurer une stratégie pour la filière.
On voit se multiplier les initiatives, sentez-vous un engouement pour le sujet ?
Beaucoup de créateurs aujourd’hui essaient d’émerger en se positionnant sur ces sujets là. Il y a un réseau associatif, une envie d’agir partagée. Après, je préfère être prudente et parler d’une “émulsion”, plutôt que d’un engouement. Car le risque c’est toujours de penser que parce qu’on s’est vu, qu’on a échangé ensemble, le problème est traité… Non.
Soutenez Socialter
Socialter est un média indépendant et engagé qui dépend de ses lecteurs pour continuer à informer, analyser, interroger et à se pencher sur les idées nouvelles qui peinent à émerger dans le débat public. Pour nous soutenir et découvrir nos prochaines publications, n'hésitez pas à vous abonner !
S'abonnerFaire un don