La violence se loge parfois dans le semblant d’une caresse. Bridgestone, multinationale du pneu, s’y est essayé récemment. Le 16 septembre 2020, le groupe japonais publiait un communiqué commençant par un exercice de voltige rhétorique : « Compte tenu des évolutions à long terme de l’industrie du véhicule de tourisme en Europe, Bridgestone doit envisager des mesures structurelles pour réduire sa surcapacité de production et améliorer son efficacité opérationnelle. » Ce charabia vous semble incompréhensible ? La suite est plus prosaïque. Bridgestone annonce en fait la fermeture de son usine de Béthune, mettant de ce fait 863 personnes à la porte. Mais l’entreprise préfère le dire à sa manière : elle « pourrait cesser les activités » de son site du Pas-de-Calais, ce qui « pourrait affecter » ses 863 employés.
« Mesures structurelles » pour signifier une fermeture d’usine, « efficacité opérationnelle » pour qualifier le primat du profit sur l’humain… L’annonce de Bridgestone illustre jusqu’à l’extrême la torsion entre la cruauté du réel et un langage aseptisé qui domine désormais le monde de l’entreprise. Voire le monde tout court : « J’ai eu la puce à l’oreille il y a onze ans, lorsque ma fille aînée est revenue de son premier jour à la maternelle avec des feuilles dont les en-têtes parlaient de “compétences à développer” et d’“objectifs à atteindre”....